LES GENERAUX ET LE GIA 10eme Partie

                        

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Les "groupes islamistes de l'armée" contre la France

Parler du GIA en France n'est pas chose aisée. Mais cela est nécessaire, car le plan conçu par les généraux Toufik et Smaïn Lamari trouvait son prolongement en France: pour eux, l'implication de l'ancienne métropole dans la seconde guerre d'Algérie était un gage de soutien aux généraux détenteurs du pouvoir à Alger.

Impliquer la France n'exigeait pas beaucoup d'investissement, puisque, en plus des liens historiques, ce pays abrite une importante communauté algérienne (Ou française d'origine algérienne) estimée à plus de trois millions d'âmes.

La SM avait une longue tradition (Avec la complicité tacite des gouvernements français, quelque soit leur couleur politique) de contrôle de la communauté immigrée, notamment à travers l'amicale des algériens en Europe, puis à travers les vingt sept consulats implantés sur le territoire français qui ont pour mission de quadriller l'ensemble des régions.

En plus de la coopération très étroite avec la DST, la sécurité militaire algérienne pouvait compter sur de nombreux agents exerçant essentiellement dans les différentes délégations d'air Algérie, de la CNAN (Compagnie nationale algérienne de navigation ; compagnie maritime algérienne) du centre culturel algérien à Paris, l'APS (Une agence d'information), la mosquée de Paris … ; elle pouvait même s'appuyer sur un large réseaux de particuliers exerçant des professions libérales (Avocats, gérants d'hôtels, de bars ou de restaurants, commerçants, consultants,..) mais également sur des chauffeurs de taxi dans les importantes villes françaises ou des trabendistes (qui en contre partie des services rendus pouvaient impunément introduire en Algérie leurs marchandises ou des produits prohibés sans être harcelés par les services des douanes algériennes ou en ne s'acquittant que de sommes dérisoires destinés à corrompre des douaniers véreux).

En France à partir de 1993, le nombre d'officiers et de sous officiers du DRS et de commissaires de police pouvait être estimé sans risque d'erreur à une centaine de personne ; à ce chiffre il faudrait ajouter entre 300 et 400 agents et  indicateurs et l'on aura une idée sur le contrôle exercé par la SM sur la communauté algérienne établie sur l'Hexagone.

De ce point de vue la France est sans doute le seul Etat au monde à tolérer en parfaite connaissance de cause, la présence en nombre d'une police d'un Etat étranger sur son territoire.

 

Les méthodes de choc de la SM en France

Dans sa stratégie de lutte contre la prolifération des mouvements islamistes en France, le colonel Mahmoud Souames, dit Habib, qui a été nommé en août 1990 en poste à Paris, a dès le départ opté pour les méthodes de choc. Durant son séjour à Paris (Où il est décédé "de mort naturelle !" en 1997), les infiltrations, les recrutements d'agents et les retournements ont été le quotidien de cet officier, qui dépendait de  la DDSE mais qui informait conjointement le DRS et la DCE.
L'antenne de Paris est un peu spéciale, car tous les dignitaires algériens ont pour point de chute la capitale française. Souames Mahmoud que j'avais connu à partir de  1979 par l'intermédiaire d'amis communs (Il  habitait à Annaba comme moi) considéré comme un officier très "professionnel" et très compétent m'avait confié en 1994 lors de l'une de nos rencontres à Paris qu'il était obligé de "ménager la chère et le loup" pour expliquer son travail, car à Paris il devait "être bon avec tout le monde et surtout servir tout le monde" puisqu'il était entouré de taupes. Chaque "boss" avait son sbire et que son rôle était aussi de veiller à ne pas perturber cet équilibre. Le colonel Habib que j'ai revu à plusieurs reprises entre juin1993 et novembre 1995 m'avait communiqué de nombreuses informations.

Avec le travail de recoupement et l'exploitation de la presse, j'ai personnellement pu me faire une idée sur la corrélation entre la manipulation des réseaux islamistes et les attentats de 1995 en France.
Dans l'accomplissement de sa tache, le colonel Habib a bénéficié de trois atouts: les informations qu'il recevait d'Alger pour mener à bien sa mission ; les informations fournies par la DST (Direction de la surveillance du territoire) dans le cadre du programme commun de lutte contre les réseaux islamistes ; des moyens financiers sans limites.

Comme en Algérie, les islamistes en France étaient divisés, essentiellement à cause de la question des ressources financières qui pouvaient être collectées auprès de la communauté algérienne. Au début des années 1990, sur le terrain, outre la tendance proche de Nahnah qui se faisait remarquer par sa bonne organisation, trois autres tendances se disputaient la suprématie du mouvement islamiste: la tendance originelle du FIS, sans expérience ; la tendance djaazariste, organisée et entreprenante ; et la tendance dure de la Hidjra et Takfir qui donnera naissance au GIA.

À partir de 1992, les maquis islamistes en Algérie avaient un besoin urgent d'armes et de munitions et c'est bien sûr en France que devait s'organiser la logistique de guerre. Le colonel Habib avait misé essentiellement sur l'infiltration des groupes de soutien (Collecte d'argent, propagande, recrutement, fourniture de l'aide aux "réfugiés", achat et acheminement de l'armement…) et sa stratégie fut payante, grâce surtout aux moyens illimités en sa possession (Argent, avantages divers, chantage, compromission…).

Le noyautage des associations comme la FAF (Fraternité algérienne en France, créée le 20.décembre 1990, considérée comme le relais du FIS en France, cette organisation se chargera à partir de janvier 1992 de l'hébergement et l'organisation des meetings aux militants et aux dirigeants du FIS ayant fui la répression en Algérie), dirigée par Djaafar el Haouari et Moussa Kraouche *(Porte parole de la FAF et membre très actif, employé à la mairie d'Argenteuil ; il s'occupera de la  rédaction des  publications pro FIS comme le critère, la Résistance ou l'Etendard),y a grandement contribué.

Ce dernier, plus tard muselé par la DST, a été utilisé par le colonel Habib début 1993  pour mener les premières négociations avec Rabah Kébir en Allemagne, allant jusqu'à lui organiser une rencontre avec Jean-Charles Marchiani, ami et conseiller de Charles Pasqua, le ministre de l'Intérieur de l'époque.
La DST françaises et la DCE marchant la main dans la main, le but de cette opération était double: Pour les français il s'agissait de contrôler une organisation méconnue et plus tard de surveiller les français qui s'engageaient dans les milices du Djihad en Bosnie, Albanie,… Et pour les algériens c'est évident, de neutraliser les réseaux logistiques du FIS à l'étranger. Le musellement de certains dirigeants du FIS s'explique par les tentatives du pouvoir algérien de disposer d'une opposition "domestiquée".

C'est ce rôle d'intermédiaire joué par Moussa Kraouche qui a facilité les rapports de Marchiani avec le responsable de l'instance du FIS à l'étranger. De même, Moussa Kraouche jouera un rôle important dans la rafle anti-islamiste conduite en novembre 1993 par les services français, sous le nom "d'opération Chrysanthème".

 

Le cas Ali Touchent

En 1992, vers le mois de février, des conférences ont été organisées par la FAF, considérée comme le relais du FIS en France, pour dénoncer l'arrêt du processus électoral et le soutien du gouvernement français aux militaires d'Alger. À ce titre, Anouar Haddam participa à plusieurs conférences, dont une à Lyon qui regroupa de nombreux militants et sympathisants de la mouvance islamique.
Neveu de Tidjani Haddam, membre du HCE, Anouar Haddam, physicien, dirigeant du FIS appartenant  au courant moderniste de la Djazaara, il fut élu au premier tour des élections législatives  du 26 décembre de 1991 et sera désigné en 1993 le responsable de la délégation parlementaire du FIS, vivant aux Etats-Unis il participa aux négociations de Saint Egidio et signa le contrat de Rome au nom du FIS en janvier 1995. Il commettra cependant l'erreur tactique de revendiquer l'attentat du boulevard Amirouche survenu le 30 janvier 1995 ; une explosion d'une charge explosive dans un bus à proximité du commissariat central d'Alger, et dont le bilan fut de 42 morts ; Ce qui lui vaudra des ennuis judiciaires avec le pays d'accueil. L'Algérie ayant réclamé son extradition.

Ce regain d'activisme ne passa pas inaperçu de la DST, qui releva l'efficacité du courant djaazariste en matière d'organisation dans l'offensive islamiste contre le nouveau pouvoir en Algérie. Tous les organisateurs de ces conférences ont été fichés par les RG (Renseignements généraux) et la DST. Parmi ceux qui furent alors convoqués par cette dernière, figurait un certain Ali Touchent, qui se trouvait en France depuis quelques mois, en principe pour préparer un diplôme en mesures topographiques et calcul architectural (Alors que, n'ayant pas le baccalauréat et titulaire d'un simple diplôme de technicien en topographie obtenu à Alger, il ne pouvait prétendre faire des études en architecture en France).

Né en 1967 à Alger, plus précisément originaire du quartier Chevalley, il faisait partie du courant djaazariste du FIS, après avoir fréquenté la mosquée Al-Arkam ou prêchait Mohamed Saïd, dont il était un fervent admirateur. Subissant une pression administrative après sa convocation par les services de la DST, la situation de Touchent en France devenait difficile, car son titre de séjour était presque impossible a renouveler. C'était une aubaine pour nos services.

Vers le début de l'année 1993, il a été sollicité par un de nos officiers à Paris  pour des renseignements tout à fait anodins *(Ces informations m'ont été communiquées par un officier du DRS qui était en poste à Paris au moment des faits et qui a par conséquent assisté aux contacts). Ali Touchent ne refusera pas et entretiendra des contacts réguliers avec nos services après cette première entrevue. En contrepartie, il a bénéficié de la régularisation de sa situation vis-à-vis du service national et a obtenu le renouvellement de sa carte de séjour en France. Toujours en 1993, il a même bénéficié de la part des services algériens d'une aide financière lui permettant de se marier et de ramener sa femme en France dans le courant de la même année. Avec la bénédiction du colonel Habib, il s'est rendu en Algérie durant l'été 1993 et devait par la suite effectuer plusieurs allers et retours entre les deux pays.

C'est à cette période que les premières cellules du GIA en France sont apparues, activant principalement dans les banlieues de Paris, Lyon, Marseille et Lille. Ali Touchent fut alors désigné par Djamel Zitouni, l'émir national du GIA et agent du DRS, comme le responsable du GIA en Europe, et réussit ; avec l'aide d'autres agents "islamistes" du DRS ; à recruter dans son organisation plusieurs jeunes Algériens, dont de nombreux "beurs" (Parmi lesquels Khaled Kelkal).

 

Les premiers réseaux du GIA en France

La constitution des réseaux du GIA s'est faite au départ à partir de la mosquée de la rue Myrrah, dans le XVIIIe arrondissement à Paris, une mosquée fréquentée par une large majorité d'Algériens et que dirigeait l'imam Abdelbaki Sahraoui  l'un des fondateurs du FIS.*(Le général Smaïn Lamari  m'avait révélé malheureusement ; je n'ai pas le souvenir précis si c'était avant ou après l'assassinat de Abdelbaki Sahraoui ; que l'imam de la mosquée de la rue Myrrah, ancien combattant dans les forces françaises serait un agent de la DST et qu'il craignait que ce dernier n'apprennent que la DCE et la DST collaborent étroitement).

Au niveau de cette mosquée, étaient organisés les collectes de fonds et le recrutement d'éléments destinés aux maquis algériens, parfois après un séjour de quelques mois en Afghanistan pour s'entraîner au maniement des armes et acquérir les techniques de combats (Embuscades, coups de main, utilisation des explosifs…).

Il est essentiel de préciser que les jeunes islamistes qui s'engageaient dans ces réseaux radicaux ne se doutaient évidemment pas du tout que ceux-ci étaient très largement contrôlés ; et pas seulement infiltrés ; par le DRS, en l'occurrence les agents du colonel Souames Mahmoud dit Habib.

Ainsi, un des agents les plus actifs qui a joué un rôle important dans la constitution du premier noyau du GIA est un certain Mohamed Touame, dit Hadj Lakhdar, un ancien voyou originaire de Belcourt reconverti à l'islamisme en adhérant au FIS et qui a fait ses pas de "Moudjahid" avec El Hidjra oua Takfir à la mosquée Kaboul de Belcourt à Alger.

Fiché par les RG de la police d'Alger, il fut arrêté par les éléments de la DCE du colonel Smaïn Lamari avant d'être relâché pour… se rendre en France en 1992 et être pris en main par nos services.

Une fois à Paris, il a pris contact avec le colonel Habib pour monter une société bidon d'import-export de pièces détachées et de voitures (Parfois volées). Cette société écran allait servir de couverture aux activités du GIA sur le sol français. L'agent Mohamed Touame sera l'un des rares à survivre à tous les déboires (Rafles, arrestations…) qu'ont connus les islamistes a Paris. En effet, c'est avec son concours et sa contribution active que des réseaux d'islamistes et les filières d'acheminement d'armes vers l'Algérie ont été mises sur pied par le colonel Habib et la DST, de façon à pouvoir ensuite opérer des rafles dans les milieux islamistes.

L'opération la plus importante reste sans doute l'affaire Mohamed Chalabi *(Selon la version de la police françaises, Chalabi opérait depuis une école coranique de Choisy le roi, il était soupçonné de mettre sur pied des réseaux du GIA en Europe entre 1994 et 1995. 138 personnes "supposées terroristes" avaient comparu au procès Mohamed Chalabi qui s'était tenu en France du 1er septembre 1998 au 22 janvier 1999, au bout duquel Chalabi, Mohamed Kerrouche et Tacine Mourad furent condamnés à huit années de réclusion pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ; il fut expulsé de France en direction de l'Algérie le 9 novembre 2001), où des centaines de pièces d'armes, des dizaines de milliers de cartouches, un arsenal incroyable entreposé par la DST a été imputé à un large groupe d'islamistes qui ne disposait en réalité que de quelques fusils de chasse et de très peu de munitions. Le but était de neutraliser toute activité militaire et militante du FIS en France.

Ce Hadj Lakhdar sera même utilisé plus tard pour promouvoir la politique de la concorde civile et repartira à Alger  avec… les honneurs dus à son rang.
En plus de la lutte contre le trafic d'armes destinées aux maquis en Algérie, menée avec ces moyens pour le moins peu orthodoxes, l'une des principales préoccupations du colonel Habib à Paris était de prévenir des attentats contre les officiels algériens qui venaient tout le temps en France.

Un autre agent des services algériens qui a joué un rôle important, infiltré par la SM en tant qu'employé à la mosquée de Paris (Il est l'un  des principaux collaborateurs du recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubakeur), est le nommé Mohamed Louanigui, dit Abdallah, un agent du colonel Farid Ghobrini qui avait déjà fait ses preuves en Algérie puisqu'il avait été chargé de commettre l'attentat à la voiture piégée de Riad-el Feth début 1993 durant le mois de ramadan.*(Information communiquée par le colonel Habib en 1995 et confirmée en 2002 par le capitaine du DRS Ouguenoune Hassine dit Haroune, qui fut en poste à Paris) Attentat qui sera bien sur attribué aux islamistes.

Envoyé en France comme Hadj Lakhdar, en 1994  il a été intégré dans la société de ce dernier et  travaillait à Air France comme bagagiste. Il fut arrêté brièvement en France en novembre 1994, puis relâché par les enquêteurs de la DST quand ils ont su qu'il s'agissait d'un agent des services algériens. Ce Mohamed Louanigui, aidé par son jeune frère que le colonel Habib avait fait venir d'Alger, a réussi à constituer un groupe qui avait pour mission de cibler en France des personnalités algériennes  opposées à la politique éradicatrice des "faucons".

Parmi les cibles potentielles figuraient le général à la retraite Mohamed Atailia *(Installé en France durant les années de braises et qui possédait une boucherie à Paris), ex chef de région militaire et ex inspecteur général de l'armée, qui est un partisan du dialogue national et un ennemi juré du général Khaled Nezzar.

 

Sous-traitance pour la DST

Le trafic de faux papiers était aussi une source importante d'informations et de services pour le colonel Habib. L'un de ses agents les plus actifs en la matière fut un certain Kamel, dit Tony, manipulé par Ali Oural, sous-officier en poste à l'ambassade d'Algérie en France, qui a fourni des informations capitales concernant les arrestations et le suivi des islamistes à travers l'Europe. En contrepartie de sa collaboration, cet agent est devenu millionnaire alors qu'il avait à peine la trentaine.

Mais la meilleure "prise" du colonel Habib fut certainement le recrutement de Kameredine Kherbane *(Né le 14 novembre 1956 à Alger, considéré comme le responsable de l'AIS en Europe et membre de l'organisation "El Bakoune ala El Aahd" ; les fidèles du serment ; il était proche d'Oussama Abbassi), personnage important au sein du mouvement islamique en Algérie (C'est lui que j'avais cherché à localiser au Pakistan, en juin 1992: voir supra, chapitre 6).

Le 30 juin 1991, il avait été le seul dirigeant du FIS qui ait réussi à échapper au GIS lors de l'assaut du siège du parti sis rue Charras *(Le commandant Guettouchi et un autre officier supérieur ont reçu l'ordre du DRS pour arrêter les deux chefs du FIS, le commandant du CPO se chargea avec le commandant Hamou et une équipe du GIS, de l'arrestation d'Ali Benhadj et moi de celle de Abbassi Madani. Cet autre officier a été envoyé au CFT de Ain Naadja pour les besoins de l'état de siège, la mission a été confié au capitaine Abdelkader Khemene, adjoint du commandant Hamou au GIS  et à une section de para-commandos. Pendant que le capitaine Abdelkader faisait sauter la porte d'entrée avec une charge de C4 ; un explosif d'origine tchèque très puissant ; et que les forces combinées de l'ANP et du GIS donnaient l'assaut, les militants du FIS  tentait de "résister" avec des moyens de fortune et de détruire  des documents pour qu'ils ne tombent pas entre les mains de la SM. Profitant de ce désordre, Kherbane, ex militaire, avait vite compris que toute résistance était inutile réussi à s'enfuir par la terrasse de l'immeuble).

Cette évasion avait été rendue possible par le fait que les officiers du SRA qui le connaissaient n'étaient pas mandatés pour procéder aux arrestations, car l'opération était planifiée par l'état-major du CFT chargé de l'administration de l'état de siège et non par nous-mêmes. Les deux hommes se connaissaient depuis 1986, puisque c'était ce même Habib qui avait arrêté à la base aérienne de Tafraoui ce sous-lieutenant de l'armée de l'air, suite à son implication dans l'affaire Bouyali, et demandé sa radiation.

L'ayant repéré en France au début de 1993, des émissaires du colonel Habib furent envoyés à Kameredine Kherbane et réussirent à le convaincre de se rendre à l'ambassade. Dès le premier contact, l'officier de la SM n'eut aucune peine à lui mettre le grappin dessus, vu que la situation en Algérie devait lui imposer de faire son devoir en tant qu'ancien militaire et surtout en tant que patriote. Kherbane a accepté de collaborer et s'est ensuite conformé à toutes les instructions de Habib.

Mais c'est surtout sur la base du chantage que Kherbane était manipulé, car son officier traitant détenait sur lui un gros dossier de détournement de fonds du FIS en France (Plusieurs centaines de milliers de francs) ; des fonds collectés grâce au "Maktab el Khadamet" (Bureau des œuvres sociales) ouvert à Courcouronnes par lui avec un certain Abdelkader Mechkour, originaire de Tiaret, qui lui aussi a été recruté avant de faire faux bond par la suite. Kherbane a même accompli dès 1993 plusieurs missions en Suisse et en Italie pour le compte du colonel Habib.

Compte tenu des relations privilégiées entre les services algériens et la DST, le colonel Habib en contrepartie sous-traitait pour ses homologues français: c'est ainsi qu'en raison de la guerre en Bosnie qui risquait d'être un "Afghanistan bis" en Europe pour les beurs, il y avait urgence à identifier absolument les filières d'approvisionnement en armes et les moyens d'acheminement de celles-ci. La DST était également informée sur les Français qui versaient dans le trafic d'armes, et sur la présence sur place des éléments d'extrême droite. C'était le rôle dévolu à Kherbane. Ses fréquents déplacements en Bosnie et en Albanie étaient pris en charge par le chef d'antenne de la SM à Paris.

Le colonel Habib m'avait également parlé d'une histoire de camps d'entrainement pour les islamistes (Probablement une ancienne caserne des services français) en Corse qu'il devait confier à Kherbane. D'après ce que j'ai cru comprendre, cette initiative répondait au souci d'envoyer ces apprentis djihadistes retournés une sorte de mercenaires islamistes, dans les endroits chauds du globe (Afghanistan, Tchétchénie, Bosnie, Albanie,..) non pas exclusivement pour le Djihad mais pour récolter des informations utiles à la fois au DRS et aux services français.

Je ne sais pas si ce travail a été accompli ou non, car par la suite Kherbane s'est installé en Grande Bretagne et moi j'ai quitté la SM. Par contre le responsable de l'AIS en Europe m'a été signalé en Allemagne en 1993 lorsqu'il était en contact avec Djamel Lounici *(Djamel Lounici dit Khaled, quittera l'Allemagne pour l'Italie en 1994 à la suite d'une mésentente avec ses compagnons) et les frères Hamaz (Nasredine et Said) qui s'occupaient de l'achat d'armes (Les anciens stocks de l'ex URSS) de Tchécoslovaquie, de Pologne et de l'ex RDA qu'ils convoyaient aux maquis algériens via l'Espagne et le Maroc.

 

L'opération Chrysanthème

C'est dans ce contexte très trouble que la France fut entraînée malgré elle dans la "sale guerre" par les généraux d'Alger. Cette idée leur est venue dès l'été 1992. Après l'échec du périple de l'avocat Ali Haroun (Membre du HCE) à travers les capitales européennes pour empêcher la condamnation du coup d'État par l'Union européenne, l'Algérie se trouvait isolée politiquement et subissait un embargo militaire. Les va-et-vient des hommes politiques et le déploiement de l'appareil diplomatique n'ayant pas été fructueux, les réseaux parallèles des généraux Larbi Belkheir et Smaïn Lamari entrèrent en action et prirent le dessus sur la diplomatie moribonde, confinée à des taches consulaires et de routine.

Le retour aux affaires de la droite française en Mars 1993 fut habilement exploité et les amitiés réactivées grâce aux promesses d'attribution de marchés et aux valises pleines d'argent que les cadres de la SM en poste à Paris remettaient à des hommes du sérail afin de soudoyer des hommes politiques et de financer leurs partis. Cette pratique, confirmée par un officier dissident des services, n'a jamais été infirmée par les responsables d'Alger *(Cf.interview réalisée par Robert Fisk parue dans The Independant du 30 octobre 1997 et confirmée par une deuxième interview paru dans le quotidien français Le Monde du 11 novembre 1997).

Pour ma part je pourrai ajouter que cette pratique courante fait partie des mœurs de nos responsables depuis de longues années, achetant aussi bien des personnalités politiques que des hommes d'affaires ou des journalistes.

L'Algérie subissait alors un isolement international que nous nous efforcions de briser en "sensibilisant" ; et parfois en corrompant ; des journalistes étrangers que nous envoyions à Alger en leur assurant une prise en charge totale dans les hôtels de luxe et les résidences d'État afin qu'ils écrivent et publient des articles flatteurs sur le régime et mettent en relief les actes de terreur des "intégristes".

Mais à l'automne 1993, la France se trouve directement impliquée dans la guerre. Le 21 septembre, deux géomètres français étaient enlevés et assassinés à Sidi Bel-Abbès, dans l'ouest du pays. J'ignore si ces meurtres étaient ou non le fruit d'une manipulation du DRS, ou l'acte de vrais terroristes. Le doute est moins permis, en revanche, s'agissant de l'enlèvement, un mois plus tard, de trois fonctionnaires du consulat de France à Alger, les époux Jean-Claude et Michèle Thévenot et Alain Fressier, que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer (Voir supra, chapitre 6). Enlevés le 24 octobre à Alger par un groupe se revendiquant du GIA, ils étaient curieusement libérés une semaine plus tard (Non sans que leurs ravisseurs leur aient remis un "ultimatum" enjoignant tous les étrangers à quitter le pays).

Je n'ai pas eu à connaître directement de cette étrange affaire, mais je ne peux que partager la conviction des journalistes Roger Faligot et Pascal Krop, qui ont expliqué qu'il s'agissait d'un coup monté par le DRS pour contraindre le gouvernement français à être plus actif dans la répression des réseaux islamistes en France. Cette thèse a été ensuite confirmée et précisée par le MAOL (Mouvement algérien des officiers libres), qui a expliqué sur son site anp.org que cet enlèvement aurait en fait été préparé en concertation étroite entre Smaïn Lamari et certains services français, et que les ravisseurs étaient des hommes de la DCE, qui se sont fait passer pour des islamistes.

Ce qui est en tout cas parfaitement avéré, c'est que cette occasion a été immédiatement saisie par le ministre français de l'Intérieur Charles Pasqua, qui a déclenché en guise de "représailles", le 9 novembre 1993, l'opération "Chrysanthème". Cette rafle touchera la quasi totalité des militants du FIS vivant en France et aboutira à l'assignation à résidence à Folembray de nombre d'entre eux ; certains seront déportés plus tard au Burkina-Faso, comme quoi les méthodes coloniales restent toujours vivaces (Lorsque les autochtones algériens revendiquaient plus d'égalité et de droit, leur destination était soit Cayenne en Guyane, soit la Nouvelle-Calédonie)… Mais la manipulation inaugurée à Alger se poursuivra à Paris…

Dans le cadre de cette opération, en effet, des documents du GIA revendiquant le kidnapping des fonctionnaires du consulat français à Alger seront retrouvés chez Moussa Kraouche lors d'une perquisition effectuée par la police.

En réalité, j'apprendrai plus tard, ces communiqués, rédigés au centre Antar, avaient été déposés chez lui par la DST. Et fort curieusement, alors que ces documents serviront de prétexte pour l'éloignement de plusieurs responsables du FIS, Moussa Kraouche, détenu durant deux semaines avant d'être assigné en résidence, fut finalement relâché et blanchi de toute culpabilité par la justice française.
Accusé d'être le dirigeant d'une "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste" lors de son procès en juillet 2000, le juge d'instruction Roger Leloire prononcera une ordonnance de non-lieu à son bénéfice. Le juge parisien a constaté la fabrication pure et simple de preuves par les services de police, la manipulation policière consistant à déposer des documents chez les militants du FIS en France pour justifier "l'opération Chrysanthème", l'arrestation des chefs du FIS et l'interdiction des activités du parti islamiste dans l'Hexagone. Les prétendus communiqués du GIA "retrouvés" chez Moussa Kraouche étaient datés de la veille de son arrestation…

 

Crimes et désinformation

1994 fut une année difficile: l'Algérie était au bord de la banqueroute, les négociations avec le Fond monétaire international et la Banque mondiale traînaient en longueur et les investisseurs boudaient. La COFACE et Hermès ne garantissaient plus les crédits. L'accord finalement signé avec le FMI, en mai 1994, a conduit les créanciers de l'Algérie ; et à leur tête la France ; à apporter un soutien financier massif et sans réserve au gouvernement algérien. Paradoxalement, cette bouffée d'oxygène a encouragé les généraux à verrouiller davantage encore le champ politique.

Les négociations avec les dirigeants du FIS emprisonnés furent suspendues *(Je suis sur et certain qu'en février 1993 au moment des négociations avec les dirigeants du FIS, les généraux Zeroual, Betchine et Derradji ignoraient tout de la manipulation des GIA par le DRS, tout comme je suis sur qu'ils ignoraient que la violence était instrumentées. Remarquant que la violence ne baissait pas d'intensité, ils avaient logiquement conclu que des mesures d'assouplissement des conditions carcérales et l'initiation d'un dialogue seraient un pas vers l'apaisement. Par contre l'objectif des généraux Lamari, Toufik, Smaïn  et consorts était toujours de briser le FIS et d'entretenir le chaos pour se maintenir au pouvoir.), et la violence redoubla d'intensité. Le deuxième trimestre de 1994 a ainsi été marqué par un déchaînement sans précédent de furie meurtrière, faisant des centaines de victimes dans la population civile: l'intervention combinée des forces spéciales du CCCLAS, des escadrons de la mort du DRS (Comme l'OJAL) et des "groupes islamistes de l'armée" montre qu'il s'agissait à l'évidence d'un plan concerté des "décideurs" (C'est aussi à cette époque qu'intervint l'évasion de Tazoult (Voir supra, chapitre 7) et la création officielle des premières milices, deux initiatives, on l'a vu, destinées à accroître le chaos).

À partir de l'été 1994, débarrassés du général Saïdi Fodhil, les Toufik, Smaïn et leurs hommes de main avaient la voie libre, et ils allaient passer à une nouvelle étape d'instrumentalisation de la violence islamiste, mêlant crimes et désinformation, pour conforter la solidarité des créanciers publics internationaux avec la politique du "tout sécuritaire" menée en Algérie.

En juillet, une quinzaine d'étrangers (Croates, Russes, Roumains, Italiens) étaient assassinés. Le 3 août, un commando abattait à la cité Aïn-Allah à Delly-Brahim trois gendarmes français et deux employés d'ambassade. Les auteurs de cet attentat disparaîtront dans la nature alors que des barrages de la gendarmerie nationale étaient postés à tous les carrefours et qu'une caserne du DRS se trouvait à deux cents mètres du lieu du drame…
Le 12 août, un communiqué du GIA parvenait à Paris pour exiger de la France qu'elle cesse tout soutien aux généraux, faute de quoi les intérêts français seraient menacés. Le 24 août, Djamel Zitouni, "l'émir national du GIA", annonçait qu'il avait constitué son "gouvernement du Califat", incluant prétendument comme "ministres" des personnalités du FIS exilées qui avaient été élues au Parlement en décembre 1991 et connues pour leurs positions radicales (Comme Anouar Haddam ou Ahmed Zaoui), ainsi que Mohamed Saïd, ce qui désignait ces hommes comme des extrémistes du GIA prônant le terrorisme en Europe. Mohamed Saïd démentira aussitôt cette allégation, de même que les "ministres" concernés, confirmant qu'il s'agissait d'un faux communiqué émanant des services du DRS pour les besoins de leur nouvelle campagne de désinformation.

Celle-ci se poursuivra, le 27 août, par un nouveau communiqué du GIA, toujours signé Djamel Zitouni, sommant cette fois le président Jacques Chirac de… se convertir à la religion musulmane.
Enfin, le 17 septembre, Djamel Zitouni adressait encore un communiqué aux journaux arabes de Londres, affirmant son opposition au dialogue initié par Liamine Zéroual.

Cet enchaînement de communiqués made in DRS visait clairement à "mettre en condition" l'opinion française pour faire pression sur le gouvernement. Mais ce n'était qu'une étape de cette politique, qui allait connaître bientôt des développements plus tragiques, en France même.
Le 24 décembre 1994, quatre pirates de l'air se revendiquant du GIA s'emparaient à Alger d'un Airbus d'Air France qui s'apprêtait à décoller à destination de Paris, avec 272 passagers à bord. La revendication des terroristes portait sur la libération d'Abdelhak Layada, dit Abou Adlane, chef du GIA détenu à la prison de Serkadji à Alger. Après qu'ils aient exécuté trois passagers, les pirates de l'air ; dont l'identité n'a jamais été révélée ; ont été tués à leur tour par les hommes du GIGN français sur l'aéroport de Marseille-Marignane, où l'avion s'était posé.

La seule prise en compte du contexte de la période et des circonstances même de cette affaire montre qu'il s'agissait d'une opération téléguidée par le DRS, conduite par un petit groupe d'islamistes manipulés à leur insu. En cette période de "guerre", les contrôles au niveau de l'aéroport de Dar El-Beida étaient en effet nombreux et diversifiés, d'autant plus que quelques semaines plus tôt, le 13 novembre 1994, un avion des lignes intérieures assurant la ligne Alger-Ouargla avait déjà fait l'objet d'un détournement vers Alicante par trois policiers. Il était donc impossible, sans des complicités au plus haut niveau, d'introduire des armes jusqu'à l'avion. Il est d'ailleurs significatif qu'aucune sanction contre d'éventuels complices ne soit intervenue.
Enfin, la manière dont les terroristes ont géré ce détournement laisse penser qu'il s'agissait de personnes inexpérimentées, n'ayant rien à voir avec les "professionnels" qui ont exécuté Mohamed Boudiaf, Kasdi Merbah, Abdelhak Benhamouda ou Tahar Djaout.

Tout comme l'assassinat mystérieux le 24 décembre 1994 d'un commissaire de l'aéroport d'Alger qui avait déconseillé à plusieurs passagers de ne pas prendre ce vol d'Air France.
Cependant, les responsables français s'accrocheront à la "farce" selon laquelle les terroristes voulaient faire exploser l'avion au dessus de la tour Eiffel à Paris.
Comme pour enfoncer le clou, quatre jours après cet épisode tragique, le 28 décembre, quatre membres de l'ordre des pères blancs (Jean Chevillard, Christian Chessel, Alain Dulangard et Charles Dekers) étaient assassinés à Tizi-Ouzou par un "groupe armé".
Mais pour la France, le pire restait à venir. Paris allait connaître un été 1995 chaud, très chaud…

 

L'assassinat de l'imam Sahraoui

Il faut dire que, malgré tous ces événements, le gouvernement français restait toujours aussi réservé vis-à-vis des généraux d'Alger, dont il soupçonnait fortement le double jeu. Et que, plus grave encore pour ces derniers, une initiative diplomatique d'importance les mettait sur la sellette devant la communauté internationale.
En novembre 1994, la communauté catholique de Sant'Egidio avait réuni à Rome tous les représentants de l'opposition algérienne: des démocrates (FFS, PT et LADDH), les islamistes du FIS et même les nationalistes du FLN. Cette rencontre aboutit, le 15 janvier 1995, à l'adoption par ces organisations d'une "plate-forme de sortie de crise" en Algérie, appelant à des négociations avec le pouvoir et à la création de structures de transition avant de nouvelles élections.

En décembre 1994, un câble du DRS m'ordonne d'entamer des démarches auprès des autorités allemandes pour empêcher à tout prix à Rabah Kébir de se déplacer à Rome et prendre part à la réunion de Saint Egidio.
Après avoir téléphoné au colonel Faouzi qui était en poste à Rome et qui me confirma la tenue de la réunion de l'opposition, j'ai saisi officiellement le responsable des services de la chancellerie et les responsables des services de sécurité allemands pour ne pas délivrer d'autorisation de déplacement à Rabah Kébir.

En apprenant cette nouvelle le général Smaïn était content, car il croyait que le responsable du FIS ; principal parti d'opposition ; ne serait pas présent, mais du rapidement déchanter lorsque Rabah Kébir était remplacé par Anouar Haddam, venu des USA à bord du même vol que Janet Réno, la ministre de la justice. Du coup le raccourci a été vite fait, et le service d'action psychologique du DRS,(Relayé par la presse) n'hésita pas à parler de soutien américain au FIS.

Les décideurs, sans surprise, rejetèrent cet appel à la paix "globalement et dans le détail". Ils craignaient pour leurs intérêts, car ils risquaient de perdre leur principal allié, la France. Le Président français et son chef du gouvernement, soutenaient en effet ; certes discrètement ; cette perspective de solution à la crise algérienne. D'où le nouveau raidissement des généraux, qui allait aboutir aux résultats désastreux que sont les attentats en France pendant l'été 1995, et l'assassinat par le GIA, en mai 1996, des sept moines de Tibéhirine.

Le "coup d'envoi" de cette nouvelle séquence criminelle fut donné le 11 juillet 1995: ce jour-là, l'imam Abdelbaki Sahraoui, membre fondateur du FIS, était assassiné, d'un coup de fusil tiré en plein visage, dans sa mosquée de la rue Myrrah à Paris *(Il sera remplacé par un agent très connu du colonel Habib, le dénommé Hamza Mohammed Salah, dit cheikh Hamza).
Lorsque l'imam Sahraoui fut abattu, son secrétaire Omar Nouredine, qui était un karatéka, s'est mis à la poursuite du tueur, mais celui-ci était couvert dans la rue par un autre individu qui a ouvert le feu sur lui par derrière et l'a abattu de deux balles dans la tête. Un vrai travail de professionnels !

Ce double crime demeurera impuni. Pourtant, dès cette époque, tous les indices convergeaient vers le DRS. Le 1er juillet, le quotidien algérien La Tribune avait annoncé "qu'un commando venu de Bosnieaurait eu pour mission de perpétrer des attentats dans la capitale française et aurait reçu comme instruction d'éliminer des islamistes condamnés à mort par le GIA comme Abdelbaki Sahraoui et Moussa Kraouche". Quelle était la source de cette information ? Pourquoi la police française n'a-t-elle pas pris de mesures pour protéger l'imam Abdelbaki Sahraoui alors que la mosquée était en principe étroitement surveillée depuis les fameuses rafles de novembre 1993 ? Qui avait intérêt à faire assassiner un vieillard de quatre-vingt-cinq ans ?

Plus curieux encore, six jours plus tard, le 17 juillet, le même journal revenait à la charge en affirmant que "cinq hommes ont participé à l'assassinat", ajoutant que "la piste du GIA est presque évidente. Abdessebour est actuellement le seul chef du GIA à disposer en France de réseaux capables de réaliser des attentats aussi audacieux". Ainsi, un simple journaliste serait plus fort que les services de renseignement français et algériens réunis. Les premiers n'ont pas réussi à mettre la main sur les assassins, ni même à identifier ses réseaux et les seconds courent toujours après l'énigmatique Abdessebour.

Il est plus que probable qu'il s'agissait d'une intox du colonel Hadj Zoubir, responsable du service de presse du DRS (Qui avait remplacé à ce poste le colonel Salah, assassiné le 19 février 1995). Officiellement dénommé "service de la documentation", ce service est chargé des rapports avec les médias (Censure, diffusion de communiqués ou d'articles à publier…). Grâce à ses agents placés dans les différents quotidiens nationaux, il manipulait l'opinion publique nationale en s'acharnant sur les islamistes et les pseudo-terroristes.

La manipulation ne touchait uniquement pas les milieux médiatiques. En cette période j'ai appris lors d'une réunion à Paris en 1994 avec Le colonel Souames et Ali Derdouri, qui était en poste à Londres, j'ai appris que ce dernier était en relation avec l'idéologue du GIA, un certain Abou Hamza qui délivrait des fetwas aux moudjahidine algériens, tout comme il était en contact avec Nadir Remli, responsable du FIS en Grande Bretagne et qui se chargeait de la publication et de la distribution des documents et communiqués du FIS.

Après ma défection j'ai su que Abou Hamza activait avec le DRS sans se rendre compte de la manipulation, puisqu'il se démarquera du GIA fin 1996 lorsqu'il remarqua que le GIA était infiltré et noyauté par le DRS. Il refusa même de publier une fetwa apostasiant le peuple algérien car une action pareille ne pouvait en aucun cas provenir d'un groupe qui lutte au nom de l'Islam contre les "Taghout d'Alger".

 

Les attentats de 1995

Deux semaines après le double meurtre de la rue Myrrah, le 25 juillet, une bombe explosait à la station Saint-Michel du RER à Paris, faisant huit morts et cent cinquante blessés. Cet attentat sera suivi de sept autres, d'août à octobre, faisant au total près de quatre-vingts blessés. Très vite, ces attentats seront attribués au GIA. On sait que deux de leurs responsables présumés, Boualem Bensaïd et Smaïn Aït Ali Belkacem, ont été condamnés, lors d'un procès fleuve à Paris en novembre 2002, à la réclusion criminelle à perpétuité pour deux de ces attentats, ceux du métro Maison-Blanche et du RER Musée-d'Orsay (Boualem Bensaïd ayant été reconnu "complice" dans l'attentat de Saint-Michel).

Si la responsabilité de ces deux hommes dans les deux attentats sus cités ne fait pas de doute, nombre d'observateurs ont souligné à l'occasion de ce procès que le véritable organisateur des attentats était en fait le fameux Ali Touchent, alias Tarek, dont j'ai raconté dans quelles circonstances il était devenu un agent du colonel Souames Mahmoud dit Habib, car outre les avantages divers, il était rétribué et percevait un salaire mensuel de la part des services officiels algériens.

Ali Touchent avait été chargé de coordonner l'activité du GIA en France pour le compte du DRS, il ne fait à mes yeux aucun doute qu'il est bien derrière l' organisation de ces attentats. Etant donné que Touchent était un agent de la SM, à mon avis  la seule  explication à ces attentats est que les chefs du DRS, à travers ces attentats avait pour but de faire pression sur le gouvernement français.

En vérité, ce qui reste le plus étrange dans cette affaire, c'est bien l'attitude des services de sécurité français, qui avaient pourtant repéré Ali Touchent dès 1993 et peut-être même avant.
Par quel miracle a-t-il pu échapper aux rafles entre 1993 et 1995 tants en Hollande, en Angleterre, en Belgique qu'en France, alors que les personnes proches de lui ont toutes été interpellées ?
La réponse est évidente: les services français savaient que Touchent était un agent du DRS chargé d'infiltrer les groupes de soutien aux islamistes qui étaient à l'étranger. Profitant de l'intimité de leurs relations avec la DST, le général Smaïn Lamari et le colonel Habib lui fournissaient de vrais "tuyaux" sur le mouvement islamique en France et sur les éléments "dangereux" identifiés par les taupes du DRS, dont Ali Touchent ; en échange de ces précieuses informations, la DST apportait sa collaboration (Y compris la protection des sources, ce qui explique pourquoi Ali Touchent n'a jamais été inquiété sur le territoire français) et son soutien pour neutraliser les vrais islamistes.

Ainsi, en novembre 1995, sur les soixante suspects des attentats identifiés dans l'album des services de police, la seule photo qui manquait était la sienne ; pourtant, il y était bien écrit: X dit "Tarek". Qui cherchait à le dissimuler à la justice française ? Qu'est-il advenu des documents d'identité saisis en 1993 ? La police savait pourtant que "l'émir du GIA en France" partageait bien la chambre de Boualem Bensaïd au boulevard Ornano dans le XVIIIe arrondissement de Paris durant l'été 1995 puis rue Félicien-David dans le XVIe.

Ainsi, ce qui semble le plus probable, c'est que la DST, aveuglée par ses relations étroites avec le DRS, n'ait rien fait pour empêcher les attentats, ne soupçonnant sans doute pas que ses homologues algériens étaient prêts à aller aussi loin. Et ensuite, la DST a tout fait pour jeter le voile sur cette attitude.

Fin 1997, les services algériens de sécurité annonceront la mort d'Ali Touchent, qui serait survenue à Alger le 23 mai de la même année. Devant l'insistance des autorités françaises qui réclamaient des preuves de son décès, sa mort sera curieusement confirmée un week-end ; fait rarissime ; de février 1998. S'agissait-il de l'élimination physique d'un témoin gênant qui risquait d'impliquer le DRS dans la coordination des actions terroristes en France ?
Pourquoi les services algériens ont-ils mis plusieurs mois pour identifier celui dont le portrait était diffusé partout depuis 1996 ?
Autre fait troublant: pourquoi les enquêteurs français ne se sont-ils pas rendus à Alger pour prélever les empreintes et consulter les documents concernant son décès ?
Qui l'a aidé à fuir l'Angleterre en 1996 et à retourner en Algérie ?
Comment a-t-il pu entrer en Algérie alors qu'il était recherché par toutes les polices et que son portrait était largement diffusé après la vague d'attentats sanglants en France ?
Comment expliquer qu'un élément du GIA ne se cachait pas lorsqu'il vivait à Alger ?
L'autre fait qui rend cette mort éminemment suspecte est que les membres de sa famille ignorent même le lieu où est enterré Ali Touchent.

Quoi qu'il en soit, force est de reconnaître que les attentats de 1995, faisant craindre les risques d'exportation en France de la "sale guerre" d'Algérie si des mesures urgentes n'étaient pas prises, ont bien conduit à un retournement de l'attitude des autorités française à partir de la fin 1995. Le "plan Vigipirate" fera le reste. Les Français étaient enfin "sensibilisés" au danger intégriste et les islamistes chassés ou réduits au silence. Dès lors, la France n'hésitera pas à aider, certes discrètement, les généraux: fin 1995, des hélicoptères "Écureuil" destinés à la protection civile pour la "surveillance des plages" seront fournis à l'Algérie ; une fois réceptionnés, ceux-ci seront repeints en kaki et équipés d'appareils sophistiqués pour les besoins de la lutte anti terroristes. Les "faucons" d'Alger venaient de remporter une bataille importante.

 

L'assassinat des moines de Tibéhirine

Pour autant, les généraux  n'allaient pas relâcher leur pression sur la France, comme en témoigne l'enlèvement, le 27 mars 1996, de sept trappistes du monastère de Tibéhirine, exécutés le 21 mai 1996. Les moines étaient connus et respectés dans la région de Médéa ; ils apportaient régulièrement de l'aide ; notamment soins et nourriture aux islamistes qui avaient rejoint les maquis. Et ils avaient activement pris part en 1994 à l'organisation de la conférence de Sant' Egidio. Tout cela les désignait comme une cible pour les généraux.*(25 décembre 1993, Sayah Attia s'était rendu au monastère et a scellé un pacte avec les moines trappistes "un aman" sorte de parole d'honneur dans la religion musulmane ; en échange de leur soutien, nourriture, médicaments, envoi de médecin pour soigner les blessés,.. il garantissait leur sécurité).

Les ravisseurs des sept moines ne se sont pas contentés de l'enlèvement. Ils avaient aussi attaqués deux quartiers avoisinant. Comment une opération de cette envergure ; avec des cris, des coups de feu, des mouvements de voitures ; a-t-elle pu se dérouler à minuit, alors que le couvre-feu était en vigueur ?
Le lendemain de l'enlèvement des sept moines, les forces de l'ANP avaient bombardé la zone de Tamezguida. Depuis quand effectue-t-on des opérations de recherches avec des bombardements ?

Immédiatement, le pouvoir et la presse  ont attribué ce forfait au GIA que dirigeait "l'émir national" Djamel Zitouni. Or, je l'ai dit, il est clairement établi que Djamel Zitouni roulait pour le compte du DRS. La responsabilité des services secrets algériens est donc totalement engagée dans l'assassinat des moines trappistes.

Cette responsabilité est notamment étayée par un fait troublant: Le 30 avril 1996, un émissaire du GIA était reçu au siège de l'ambassade de France à Alger ; c'est à bord d'une voiture de la représentation diplomatique, en compagnie du diplomate Clément et du consul général  qu'il quitta l'ambassade de France à Alger pour y être déposé à Hussein-Dey.

Une chose est sure les services de l'ambassade et par conséquent les services secrets français étaient en contact avec le GIA. Il y avait bien des négociations. Ayant fait partie des services du contre-espionnage, il m'est difficile de croire que ce va et vient d'un émissaire du GIA  puissent passer inaperçu de la part de la DCE. Les services secrets algériens avaient pourtant bien fait savoir aux autorités françaises qu'elles étaient sur une bonne voie, pourtant rien n'a été communiqué à Paris.

L'unique hypothèse viable est que l'émissaire du GIA envoyé négocier avec les représentants de l'ambassade de France à Alger ne peut être qu'une personne envoyée par la SM.
Quelques jours plus tôt, Mgr Henri Tessier, l'archevêque d'Alger, avait déclaré qu'un "inconnu" (J'ignore s'il s'agit du même émissaire du GIA qui se rendra le 30 avril à l'ambassade de France) avait déposé à l'ambassade de France à Alger, une bande d'enregistrement réalisée le 18 avril dans laquelle les moines en captivité suppliaient les autorités à satisfaire la revendication du GIA qui portait sur la libération de Abdelhak Layada, détenu à la  prison de Serkadji à Alger depuis son extradition du Maroc en 1993.

Dès cette époque, cet épisode attestait que l'enlèvement était très probablement une initiative des services.
Comment, en effet, cet "inconnu" a-t-il pu accéder à l'ambassade de France, alors que depuis 1992 un dispositif et des mesures exceptionnelles étaient en place pour en contrôler les accès ?
Comment croire la version officielle selon laquelle, le jour de la remise de la bande audio par "l'inconnu", les caméras installées à l'ambassade et qui filmaient l'entrée des visiteurs soient tombées en panne ?
Les moines de Tibéhirine n'ont-ils pas été victimes de l'échec des "négociations" menées par les services de sécurité français et en particulier de la tension entre la DST et la DGSE ?
Quel était leur interlocuteur ?
Djamel Zitouni ou un officier du DRS ?

La version donnée par Ibrahim Taha le 16 avril 2001 publiée par Algeria-Watch  me paraît la plus plausible, car jamais démentie ni par Alger ni par Paris. Il affirme que les services français étaient en contact avec les ravisseurs des moines et voulaient faire durer les tractations le plus longtemps possible, car ayant localisé le lieu de détention des religieux, ils préparaient une opération commando pour les libérer.
Informées, les autorités algériennes avaient très mal pris la chose. Comment les services français auraient-ils localisé le lieu de détention des otages ? La réponse a été apportée par Jean-Paul Chagnolleaud, dans la revue Confluences Méditerranée en mars 1998: sur la foi d'un ancien officier des services de renseignement algériens, il indique que des émetteurs miniatures de localisation, reliés à des balises de repérage par satellite, auraient été transmis aux moines durant les négociations. Les services de la DGSE française auraient utilisé un faux religieux, qui sous prétexte de donner la communion aux otages, avait remis un émetteur à l'un d'eux.

Ces faits avaient déjà été évoqués  le 26 mai 1996 dans Le Journal du dimanche par le prieur de l'abbaye d'Aiguebelle (Drome) ; propos qui furent bien sur désavoués par le Quai d'Orsay et les supérieurs dudit prieur. Pourtant, d'après Le Monde, le supérieur de l'abbaye d'Aiguebelle, Yves de Broucker, finira par admettre que le Quai d'Orsay avait exercé des pressions sur lui pour qu'il démente son confrère, ce qui donne toute la crédibilité au fait que des négociations entre les ravisseurs du GIA et les autorités françaises avaient eu lieu et qu'un émissaire dépêché de France a bien rencontré les otages en Algérie.

La découverte des émetteurs par les services de sécurité algériens aurait fait capoter l'opération montée par les services français. Face à la tournure prise par les événements qui allaient mettre à nu la manipulation du GIA par les services secrets algériens, ces derniers ont pris la décision d'éliminer tout le monde y compris les otages, car ils n'avaient pas intérêt à les rendre vivants en raison de leur liberté de parole.

En décembre 2002, ce scénario sera précisé par un nouveau témoignage de poids, celui d'un ancien membre du CRI de Blida, l'adjudant Abdelkader Tigha, emprisonné depuis 2000 dans un centre de détention à Bangkok. Dans un entretien au quotidien français Libération, Tigha Abdelkader fait un récit précis dont voici succinctement le résumé: le 24 mars 1996 Mouloud Azzout, "un terroriste des GIA" considéré comme étant le bras droit de Djamel Zitouni passe la nuit au CTRI de Blida et sera reçu le lendemain pendant deux heures par le général Smaïn Lamari en compagnie de quatre officiers dont le colonel Mehenna Djebbar, chef dudit centre. Dans l'après midi deux fourgons J5 banalisés, généralement utilisés pour les opérations arrestations sont prêts pour une "mission spéciale à Médéa". Durant la nuit du 26 au 27 mars les deux fourgons seront de retours au CTRI de Blida avec les sept moines kidnappés la veille. Les "otages" seront interrogés par Mouloud Azzout avant d'être acheminés deux jours plus tard à "Tala Acha", le poste de commandement de Djamel Zitouni sur les hauteurs de Blida.

Les choses devaient se compliquer en raison des rivalités entre groupes armés. Prétextant la crainte d'un ratissage militaire les sept moines seront remis à Hocine Bessiou dit Abou Mossaab, émir de Bougara.

Face au mutisme d'Alger, deux émissaires français sont dépêchés à Alger pour négocier avec un mystérieux contact du GIA alors que le DRS voulait que Mouloud Azzout soit l'interlocuteur des Français.

Sentant que l'opération est en train de leur échapper, les deux principaux témoins sont éliminés. Azzout disparu sans laisser de trace et Djamel Zitouni qui a reçu l'ordre de ramener les otages tombe dans une embuscade tendue par les éléments de l'AIS. Ainsi toutes les traces de l'implication des services secrets algériens sont effacées. La mort de Djamel Zitouni ne sera annoncée qu'en juillet 1996 bien après celles des moines trappistes.

La version d'Abdelkader Tigha parfaitement crédible, conforte l'idée d'un "sale coup" de la SM. Le message en direction des homologues français signifie clairement qu'il ne fallait pas pousser trop loin les enquêtes sur les attentats en France de 1995.Cette capacité de nuisance était dissuasive comme on le verra avec le cas Ali Touchent où aucune expertise n'a été exigée, avec le cas de l'expulsion vers l'Algérie de Mohamed Chalabi pourtant citoyen français, ou encore les condamnations de seconds couteaux mais jamais les vrais commanditaires.

Le 1er août 1996, l'évêque d'Oran, Mgr Pierre Claverie, qui avait contesté la version officielle de l'assassinat des moines, était victime d'un attentat à l'explosif alors qu'il rentrait d'Alger où il avait été reçu par le ministre français des Affaires étrangères en visite officielle en Algérie.  Pourtant les auteurs de l'attentats étaient bien renseignés sur les horaires ; son vol ayant été retardé il n'est retourné à Oran que vers 23 heures.

Qui avait intérêt à l'éliminer ?
Qui pouvait déposer une bombe dans l'évêché, un lieu très surveillé ? Sachant qu'il s'agissait d'une bombe télécommandée, qui pouvait connaître l'emploi du temps de la victime alors que celle-ci arrivait d'Alger vers 23 heures ?

À travers ce bref récapitulatif, force est de conclure que l'affaire de l'Airbus, les attentats en France puis l'assassinat des moines trappistes, ont eu pour effet de faire basculer l'opinion publique, la presse et la classe politique française, jusque-là plutôt hostile à l'interruption du processus électoral au profit des généraux algériens auteurs du coup d'État de janvier 1992. Ces événements dramatiques, résultant du clivage entre les "faucons" éradicateurs et les partisans de la réconciliation, annonçaient en fait les massacres à grande échelle de 1997. Toute tentative de retour à la paix a été sabordée par les généraux déserteurs de l'armée française et leur relais de propagande pour que le chaos soit entretenu.