LES GENERAUX ET LE GIA 2eme
Partie
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Premiers dérapages
L’été 1990 marque donc un tournant politique
important au sein de la direction de l’armée et de la SM, désormais
"épurées" des éléments opposés au clan des "DAF", qui "prend le
pouvoir": nomination du général Khaled Nezzar comme ministre de la
Défense le 27 juillet 1990, suivi le 4 septembre par la
reconstitution de la SM sous l’appellation DRS.
A la suite de
l’élection communale de juin 1990, les généraux prennent conscience
du danger qui pèse sur leurs intérêts, et c’est à ce moment que la
"machine" contre le FIS se met en marche, un véritable "rouleau
compresseur" pour marginaliser le FIS, car le centre de décision est
libéré des officiers "arabo-musulmans " comme les généraux El
Hachemi Hadjeres, Hachichi Zine El Abidine… qui pouvaient faire
échec aux desseins des dafistes. Voilà pourquoi l’été 1990 reste un
tournant décisif dans l’histoire de l’Algérie, c’est bien à cette
période que le basculement se met en place.
Cette réorganisation
répondait au souci d’isoler le président Bendjedid en vue des
changements qui étaient planifiés par le tandem Belkheir-Nezzar.
Tous les deux vont se retrouver aux postes clés de l’intérieur et de
la défense.
En dehors de la nouvelle appellation le seul
changement notable est que le DRS (à sa tête Mohamed Médiène dit
Toufik), qui a regroupé toutes les structures autonomes, relève
désormais de l’autorité du ministère de la Défense nationale alors
qu’auparavant la SM était rattachée à la Présidence. Ce
"chamboulement" n’est qu’un leurre destiné à tromper la vigilance de
Chadli et à le couper de son importante source de renseignements,
puisque Larbi Belkheir, grâce à son homme de main Smaïn Lamari (à
qui il a promis de confier la "DST" algérienne), était
régulièrement informé. Le chef de la DCE disposera même d’un
bureau au niveau du ministère de l’Intérieur lorsque Belkheir prit
en charge ce ministère en septembre 1991.
Le DRS chapeautait trois directions principales (en
plus des directions annexes comme l’administration, le matériel, les
écoutes, technique…):
-la DCE (Direction du contre-espionnage)
fut confiée au lieutenant-colonel Smaïn Lamari dit Smaïn, originaire
d’Ain Bessam, ancien sous-officier de la marine qui fit un détour
par la police dans les années 1960. Sans rayonnement particulier,
cet individu cynique et sinistre doit sa carrière au clientélisme
qu’il a de tout temps cultivé. Qui a entendu parler de Smaïn dans
les années 1960, 1970 et 1980 ? Chargé du dossier du Moyen-Orient
par le général Lakhal Ayat au milieu des années quatre-vingt, il
commença à se frayer un chemin en côtoyant les cadres des services
secrets français et les "agents" palestiniens, grâce auxquels il a
acquis une expérience enrichissante en matière de manipulation,
désinformation, diversion, méthodes (entendre par-là coups bas)…
Il est suspecté par de nombreux officiers (dont le
général Saïdi Fodhil) d’être un agent de la DST française.
-La
DCSA (Direction centrale de la sécurité de l’armée), que dirigeait
le lieutenant colonel Kamel Abderrahmane, encore un ancien
sous-officier qui avait fait partie de la "force locale" en mars
1962.
Originaire de Sour El Ghozlane, il était adjudant jusqu’en
1974 à l’Académie Interarmes de Cherchell. Capitaine lors des
événements d’octobre 1988, il connut une ascension fulgurante grâce
à un "acte d’héroïsme" en tentant de sauver au péril de sa vie un
char agressé par un cocktail Molotov d’un manifestant. Le
comportement de cet officier (qui allait être arrêté dans le cadre
de l’affaire "scanner" en juin 1990 par les services du DCSA).
Deux mots sur l’affaire "scanner" pour comprendre
les critères du choix des hommes par les généraux mafieux.
Suite
a un BRQ transmis a la DCSA et au CPMI en mai 1989 par le capitaine
Ghazi, le chef BS de l’HCA (hôpital central de l’armée) avait
relevé le comportement douteux de la part de la chef de service VIP
de l’HCA en l’occurrence la dénommée Benhamza Fatiha. Il signalait
parallèlement son ascension fulgurante à ce poste sensible alors
qu’elle n’était à l’origine qu’une simple sage femme.
En
surveillant ses activités, Ghazi avait découvert que Benhamza
Fatiha organisait dans son chalet situé au quartier des VIP de
Moretti, des soirées "mondaines" avec des filles qu’elle
sélectionnait au sein même de l’HCA, au cours desquelles
étaient convié des personnalités civiles et militaires de hauts
rangs occupant des fonctions souvent sensibles au sein de l’appareil
de l’Etat, ainsi que des étrangers, très souvent des français dont
certains étaient des fonctionnaires de la représentation
diplomatique.
Le général Toufik, en tant que directeur de la DCSA
avait ordonné de suivre ce dossier avec beaucoup d’intérêt,
insistant sur le caractère sensible de cette affaire qui pouvait
porter atteinte à la réputation du HCA et donc de
l’ANP.
L’enquête préliminaire menée par le CPMI a permis de
découvrir que le chalet qu’elle occupait, a été obtenu grâce à une
intervention solide auprès du directeur Abdelhamid Melzi, et la
personne qui était intervenue n’était autre que le chef de cabinet
de la présidence Larbi Belkheir.
Benhamza avait noué une amitié
avec Belkheir grâce aux services qu’elle lui rendait en s’occupant
personnellement des membres de la famille du Président et de
diverses personnalités étrangères, comme par exemple lors de
l’hospitalisation du Président gabonais Omar Bongo au HCA. C’est
même elle accueilli le Président Chadli à l’HCA lorsque ce dernier
était venu faire une visite de courtoisie à son homologue Omar Bongo
après son opération.
Après plusieurs semaines d’investigations, de
filatures et d’écoutes téléphoniques au sein même de l’hôpital, il a
été établi que Benhamza Fatiha jouait un rôle clef dans le cadre
d’un large réseau d’espionnage au profit de la DGSE française. Son
train de vie, ses fréquentations, ses déplacements en France étaient
autant de preuves sur sa compromission.
Elle a réussi à rallier à
son réseau d’autres filles qui exerçaient au niveau du MDN et a
différents postes, notamment, la secrétaire particulière du SG du
MDN et un ingénieur en informatique prénommée Naima, qui occupait un
poste très sensible au SCIA ; le service central informatique
de l’armée et qui avait accès à tout le fichier informatique de
l’ANP.
Au mois de février 1990, sur instruction du chef de la
DCSA, le domicile de Benhamza a été piégé de micros, permettant
ainsi de confirmer ses agissements qui revêtaient indiscutablement
le caractère d’intelligence et de localiser ses "clients ",
parmi lesquels le commandant Kamel Abderahmane, qu’elle avait connu
lorsqu’il a été hospitalisé en 1988 à la suite de ses
blessures durant les émeutes d’Octobre 1988.
L’enquête a permis d’établir que Benhamza
transmettait directement des documents et des informations classées
à son officier traitant qui n’était autre que le capitaine
Guillaumot, officier féminin français dépendant de la DGSE et qui
occupait le poste de coopérant militaire au sein même de L’HCA en
tant que responsable de la formation paramédicale.
Certains
contacts avaient même eu lieu en France, et Benhamza a réussi à
ramener une voiture neuve, une 205 blanche, qu’elle a récupéré au
port d’Alger sans même effectuer les procédures d’usage et sans
payer de taxe de dédouanement ! C’est dire le degré de
complicité et de corruption qui existaient.
Lorsque ces faits ont
été matérialisés, le général Toufik avait ordonné de mettre le
paquet sur deux points:
-Un dossier solide contre le commandant Kamel
Abderahmane.
-Un dossier contre madame Kourifa (elle-même amie
intime de Benhamza Fatiha et donc) la secrétaire personnel du SG du
MDN Mustafa Cheloufi…).
Avec la création du DRS en septembre 1990, Kamel
Abderahmane se voit propulsé en tant que directeur central de la
sécurité de l’Armée !! Toufik avait ainsi entre les mains une
marionnette toute prête qui ne pouvait rien refuser. Kamel
Abderahmane, adjudant en 1974 se retrouve … général moins de vingt
ans plus tard. Un exploit rarissime dans l’Algérie contemporaine où
le clientélisme, la médiocrité et l’impunité sont devenus les
critères qui garantissent la promotion et l’avancement.
Quant au
second dossier, il a servi de moyen de pression qu’avait exercé le
général Toufik pour mettre sur la touche le général Mustafa Cheloufi
(ex commandant de la gendarmerie nationale, un autre officier
compétent proche du cercle de Chadli) et permettre au général Khaled
Nezzar d’émerger.
Quant a Benhamza Fatiha, elle n’a jamais été
poursuivie pour aucune charge ou délit, son dossier a été clos sur
instruction de Toufik et elle a été admise à la retraite
anticipée !
La DDSE (Direction de la documentation et de la
sécurité extérieure), a été confiée au lieutenant-colonel
Saïdi Fodhil alias Abdelhamid, homme intelligent et d’une grande
simplicité. Cet ancien membre de l’ALN, originaire d’El Milia à
l’est d’Alger avait été le responsable du renseignement militaire.
Il sera assassiné en juin 1996 par le clan des généraux mafieux
(voir chapitre 8).
Habitués aux changements de dénomination (la
quatrième en moins de dix ans), nous avions le sentiment qu’il
s’agissait d’une énième manœuvre destinée à faire taire la galerie"
et à donner un gage aux démocrates, en particulier à Hocine Ait
Ahmed le président du FFS qui a toujours fait de la mise au
pas de la "police politique" son cheval de bataille. De plus
la présence du général Toufik, "l’homme au cigare" comme on
l’appelle entre nous, un ancien de la boite, connu pour sa capacité
au travail était pour nous un gage d’assurance.
Cela allait
sûrement changer, car la SM avait souffert des luttes intestines et
du manque de professionnalisme des généraux Lakhal Ayat et Betchine,
considérés plutôt comme des "transfuges" dont le corps
d’origine n’est pas la SM.
Les officiers qui se réjouissaient de ces
changements ont vite déchanté ; dès septembre 1990 ils n’eurent plus
droit aux week-ends puisqu’il fallait couvrir les prêches du
vendredi et être présent dans toutes les mosquées de la capitale. Ce
qui était impossible à réaliser ! Nous dûment sélectionner les plus
importantes: Sunna à Bab El Oued, Kouba, El Arkam, Ketchaoua,
Belcourt, Lavigerie…
Cela sentait l’aversion des responsables de
l’Armée pour les islamistes. C’était pour nous quelque chose
d’incompréhensible, car honnêtement les islamistes en général et le
FIS en particulier ne constituaient en aucun cas une menace
sérieuse. Activer pour la prise du pouvoir par la voie des urnes est
une chose tout à fait normale et légitime. Si le FIS constituait une
menace, le chef de l’Etat disposait de moyens légaux pour l’en
empêcher, il pouvait dissoudre le parlement, convoquer de nouvelles
consultations, modifier la constitution,… En plus, les services de
sécurité pouvaient actionner la justice contre les éléments radicaux
qui outrepassaient le cadre légal ou républicain. La constitution
était claire sur ce point.
En dehors des chefs militaires qui faisaient du FIS
un épouvantail, l’ensemble des officiers raisonnait (du moins au
début, par la suite l’endoctrinement a été mené tambour battant par
le commissariat politique de l’Armée et par les chefs
militaires) comme moi, estimant qu’il ne fallait réagir qu’en
cas d’impérieuse nécessité et non favoriser le pourrissement qui ne
pouvait qu’engendrer une confrontation à laquelle ni l’armée ni la
population n’étaient préparées.
Le général Nezzar en
personne était venu à deux reprises accompagné du général Toufik à
l’école de la SM de Beni Messous tenir des réunions alarmistes et
contradictoires, il affirmait notamment "nous sommes derrière le
FLN" alors que le colonel Smaïn Lamari (en conflit ouvert avec
Abdelhamid Mehri, le secrétaire général de l’ex parti unique) nous
donnait des instructions pour créer des divisions entre les
"caciques" (que la presse appellera les "dinosaures" et les "jeunes
loups" représentés par la nouvelle vague de cadres du FLN (Ali
Benflis, Karim Younes, Seddiki Ali...)
C’est à cette époque que le tandem Belkheir-Nezzar
commença l’élaboration de plan pour contrer l’expansion du FIS, car
ce parti reprenait à son compte les idéaux de novembre, abandonnés
par le régime, insistant sur le fait que la révolution de 1954 a été
conduite au nom de l’Islam. En abandonnant l’idéologie islamique, le
pouvoir avait favorisé la corruption, la délinquance, l’injustice,…
Le 1er novembre 1990, l’anniversaire du début de la guerre
d’indépendance ne fut pas célébré avec le même enthousiasme que les
années précédentes. Personne ne semblait se soucier des changements
qui transformaient le mode de vie des citoyens. Certains officiers
nostalgiques, pourtant, ne s’empêchaient pas de souligner ces
mutations. Comme il était loin le temps où jadis, l’on admirait les
défilés militaires, les blindés, l’aviation, les commandos,
l’infanterie, qui paradaient sur les principales avenues des grandes
villes et où tout le monde ressentait une fierté indescriptible.
Sans parler de la marche aux flambeaux, des majorettes et des douze
coups de minuit qui nous remémoraient les souvenirs du déclenchement
de la révolution de novembre 1954.
"L’objectif n° 1 des
services, c’est les islamistes du FIS"
Nous étions donc le 1er novembre et nous ne fêtions
pas cette date anniversaire. J’étais perplexe et je n’osais pas
encore parler de "dérive".
Deux ou trois jours auparavant, le
lieutenant-colonel Smaïn Lamari, dit "Smaïn", chef de la DCE (la
direction du contre-espionnage), m’avait convoqué en compagnie du
commandant Amar Guettouchi, responsable du Centre principal des
opérations (CPO, le centre des opérations, comme dans tous les
services secrets dans le monde, est chargé du suivi des opérations
de sécurité comme la surveillance, la filature, les perquisitions
secrètes, les arrestations, la pose de micros, les faux témoignages,
…C’est dans le centre Antar de Ben Aknoun, qui servait de siège au
CPO que les faux communiqués attribués au FIS ont été rédigés dès
janvier 1991), pour nous faire-part des nouvelles "orientations"
décidées par la hiérarchie militaire. S’adressant d’abord à moi en
tant que responsable du Service de recherche (SRA), il me dit: "À
partir de maintenant, l’objectif N°1 des services, c’est les
islamistes du FIS: s’ils prennent le pouvoir, ils vont nous trancher
la tête et à vous aussi. Ils feront exactement comme les Iraniens
avaient fait à la SAVAK, il faut à tout prix leur barrer la route.
Ce sont les ordres du commandement."
Et il enchaîna: "Quelles sont les dossiers en votre
possession ?"
Je répondis que le FIS faisait l’objet du même
traitement que les autres partis politiques agréés par le ministère
de l’Intérieur, c’est-à-dire que nous exécutions les instructions
reçues depuis le temps du général Betchine et qui concernaient: le
suivi des dirigeants des partis politiques, le suivi des réunions,
l’action sur le terrain, l’influence sur la population, des
alliances éventuelles avec d’autres formations. Seules les
généralités avaient été évoquées car je ne pouvais lui avouer que
l’on "s’amusait" à infiltrer les partis influents, comme ce fut le
cas avec le FFS d’Hocine Aït-Ahmed, le RCD de Saïd Sadi, le PSD de
Saïd Adjerid ou le PNSD de Rabah Bencherif… Effectivement, sur le
plan politique, sans nous départir des anciens réflexes hérités du
temps du parti unique, nous avons pris l’initiative sans l’aval de
la hiérarchie de nous renseigner au maximum sur les "associations à
caractère politique". J’étais satisfait du travail accompli par mes
officiers et la hiérarchie (avant l’arrivée du colonel Smaïn) était
contente des résultats et ne s’était jamais plaint.
Il fit la
moue et dit: "Et toi, Amar ?" Ce dernier répondit, non sans humour:
"Moi je n’ai absolument rien, je viens de remplacer le capitaine
Abdelaziz et il n’a laissé aucun dossier. C’était un homme du
général Betchine, il travaillait certainement sur vous, mon
colonel." (J’ouvre une parenthèse pour signaler que le général
Betchine qui soupçonnait le lieutenant-colonel Smaïn Lamari d’être
un agent des services de renseignements français, l’avait mit à
l’écart dès février 1990, avait même proposé sa radiation de
l’Armée, avant qu’il ne soit "récupéré" par le général Larbi
Belkheir. Au moment de sa "disgrâce", il faisait évidemment l’objet
d’une surveillance de la part des éléments du service opérationnel
que dirigeait le capitaine Abdelaziz. Tous les officiers et sous
officiers mêlés à cette affaire seront aussitôt mis sur la touche
par le nouveau DCE.) "Prépare-toi à avoir du boulot, Amar",
promis Smaïn Lamari.
Puis se retournant vers moi, il me demanda de lui
faire une évaluation de la situation ainsi que des moyens matériels
et humains souhaités pour la réorganisation de mon service en vue de
l’adapter aux nouvelles exigences.
Le service de recherche, que
je dirigeais, comptait alors près de quarante officiers, une dizaine
de sous-officiers, deux PCA (personnel civil assimilé) qui
manipulaient une kyrielle d’agents. L’ensemble de ces cadres était
répartis au niveau des quatre structures:
- la sécurité intérieure, confiée au capitaine Saïd
Lerari (dit "Saoud"), et qui s’occupait justement des partis
politiques, de la subversion (à cette époque, le terme
"terrorisme " n’était pas encore usité), des activités
politiques en général, notamment au niveau des communes, car, on l’a
vu, les APC (Assemblées populaires communales) étaient en majorité
détenues par le FIS depuis juin 1990 ;
- le contre-espionnage,
confié au capitaine Mustapha, et qui s’occupait des étrangers, des
missions et personnels diplomatiques, des sociétés et compagnies
étrangères, du Centre culturel français ;
- la prévention
économique, confiée au capitaine Farouk Chetibi, ne concernait que
la lutte contre la criminalité économique, la sensibilisation
[euphémisme désignant le contrôle du secteur économique par les
cadres des sociétés qui devaient fournir des rapports mensuels sur
les problèmes rencontrés en matière de maintenance ou de
distribution, l’état d’esprit, l’activité syndicale, les meneurs des
grèves par exemple, les tendances politiques des cadres et tout ce
qui touche la gestion de l’entreprise], ainsi que tout ce qui avait
trait à la vie sociale (syndicats, grèves, etc.). Les officiers de
cette section entretenaient des relations avec les autorités
locales, les cadres des ministères, les parlementaires, les
journalistes, les avocats, etc. ;
Les enquêtes d’investigation et
d’habilitation, confiées au capitaine Djamel.
Comme les nouvelles orientations exigeaient des
cadres expérimentés et compétents, je faisais part à Smaïn de
l’inexpérience des nouveaux officiers affectés en septembre 1990 au
SRA, qui avaient des difficultés à s’implanter dans les communes: la
plupart venaient d’achever depuis juillet leur formation et
n’avaient pratiquement aucun contact avec le terrain. Pour renforcer
mon service, le chef de la DCE prit la décision de rappeler les
vingt et un officiers mutés hors d’Alger dans le cadre du mouvement
de l’été 1990. Cette aide précieuse faciliterait le travail de
recherche car les relations des anciens cadres avec leurs agents et
leurs sources d’information étaient à nouveau reconstituées.
Ces
officiers furent répartis chacun dans une commune de la capitale:
ils "doublaient" le président d’APC et exerçaient une surveillance
sur l’activité du FIS dans la gestion des municipalités, puisque
toutes les communes de la capitale étaient tenues par ses
militants.
Le lieutenant-colonel Smaïn insista également sur
l’importance de concentrer tous les efforts sur cet objectif, quitte
à "laisser tomber" les activités de contre-espionnage et de
prévention économique. D’ailleurs, peu de temps après, le
lieutenant-colonel Rachid Laalali (dit "Attafi"), directeur de
cabinet du général Médiène (dit "Toufik"), m’appela pour que je le
briefe sur les activités de "prévention économique" et que je lui
remette certains dossiers économiques "sensibles", comme ceux
relatifs à l’affaire ENAPAL et à l’affaire de la chambre de
commerce. Deux dossiers explosifs dont le DRS voulait se
servir pour déstabiliser Mouloud Hamrouche, qui commençait à menacer
les intérêts de la mafia des généraux par la mise en application des
reformes économiques.
J’ai reçu également l’ordre de suivre les
activités de Raymond Louzoum, un juif algérien, opticien, qui tenait
un magasin à la rue Didouche Mourad. Le lieutenant Belkacem, prendra
en charge ce dossier, il réussira à recruter sa femme de ménage et à
avoir des comptes-rendus détaillés sur ses déplacements en France et
en Tunisie. J’apprendrai lorsque j’étais en poste en Allemagne que
Raymond Louzoum a été assassiné, selon la presse par des islamistes.
Pourtant sans détenir de preuves j’ai l’impression, connaissant le
cynisme des responsables du DRS que cet assassinat, non revendiqué,
répondait beaucoup plus à un souci de dresser la communauté juive
contre les islamistes, donc pour couper d’éventuels supports
internationaux aux partisans de la république islamique.
Le
commandant Guettouchi, quant à lui, reçût l’ordre de mettre sous
surveillance les deux leaders du FIS, Abbassi Madani et Ali Benhadj,
qui reçurent comme nom de code "numéro 1" et "numéro 2". C’est ainsi
qu’ils firent l’objet d’une filature et d’une écoute téléphonique
permanente, tout comme les principaux membres influents de la
direction: Ali Djeddi, qui avait enseigné à l’école des cadet de la
révolution de Koléa et où il résidait (il était considéré à l’époque
comme le numéro 3 du FIS), Yakhlef Cherati, Nouredine Chigara,
Boukhamkham, et quelques autres.
C’est le capitaine Khelifati
Djaafar, un officier très pieux, sérieux et compétent (il fut même
soupçonné d’être un sympathisant islamiste), qui s’occupait des
transcriptions de ces écoutes et se chargeait des synthèses pour le
DRS. Pour le mettre à l’aise et l’encourager dans l’action
psychologique anti FIS, le colonel Smaïn lui octroya un appartement
à Bouzareah.
La lutte contre les islamistes du FIS venait de se
mettre en branle.
En vue de mettre son projet à exécution ;
projet qui consistait à déclarer la guerre au FIS, Smaïn m’informa
que je devais me préparer à déménager le siège du SRA de
square Sofia (près de la grande poste à Alger) vers le centre Antar
situé à proximité du parc zoologique où se trouvait le CPO. Selon
lui, le centre sis au square Sofia n’offrait plus les garanties de
"sécurité". Nous étions en novembre 1990 et nous aspirions à la
démocratie alors que certains chefs militaires préparaient déjà la
"guerre".
Faux tracts islamistes
À l’époque, il est vrai, les islamistes se
distinguaient par les prêches incendiaires de Ali Benhadj chaque
vendredi (en alternance dans les mosquées de Kouba et de Bab El
Oued). Les marches imposantes réunissant plusieurs dizaines de
milliers de sympathisants du FIS qu’ils organisaient chaque jeudi à
Alger mettaient en valeur les capacités mobilisatrice de ce parti et
faisaient peur aux militaires. Ces démonstrations de force
devenaient une menace certaine pour les intérêts de la caste au
pouvoir. * (Bien avant le contexte de la guerre du Golfe
et profitant de la faiblesse des pouvoirs publics, les leaders du
FIS développaient un discours violent comme en témoigne l’interview
de Ali Benhadj, parue dans le quotidien l’Horizondaté du 23 février
1989 dans laquelle il déclare: "si le pluralisme permet à des
partis politiques de propager des idées et des opinions en
contradiction avec les croyances de l’Islam, il sera mit fin à cette
pratique démocratique. Le musulman ne peut admettre l’apparition de
partis qui prônent la contradiction avec l’Islam, tout en refusant
la vision occidentale du multipartisme" ou celle de Abbassi
Madani, parue dans l’hebdomadaire Algérie Actualitésdaté du 24
décembre 1989, affirmant, je cite: "Si la démocratie est un cadre de
dialogue et de respect de l’opinion, nous sommes d’accord avec ce
concept, par contre nous n’acceptons pas que l’élu soit en
contradiction avec l’Islam, sa charia et ses valeurs ".
Le
FIS qui avait en effet pris cause pour l’Irak en reprochant
aux dirigeants algériens leur manque d’engagement aux cotés des
irakiens, était monté au créneau contre le régime jugé trop
"laïc" et trop "détaché de l’Islam")
Cette période coïncidait aussi avec l’apparition de
l’activisme de la secte d’El Hidjra oua Takfir, une organisation
extrémiste, dont l’idéologie est importée par certains moudjahidine
"afghans" de retour en Algérie et qui fait référence au courant
salafiste, apostasiant tous ceux qui ne font pas référence à leur
doctrine. Cette secte minoritaire et nullement en rapport avec nos
traditions séculaires autorisait même le meurtre du père, de la
mère, du frère ou de la sœur si celui ci ou celle ci ne se
conformait pas aux lois islamiques. Toute transgression est punie
par la mort.
La secte d’El Hidjra oua Takfir gagnait certes du
terrain mais pas au point d’être considérée comme une menace
sérieuse. Avec une meilleure sensibilisation des responsables des
partis islamiques et avec plus de rigueur, les services de sécurité
et la justice auraient pu facilement éradiquer ce fléau. Hélas ces
mesures ne cadraient pas avec le programme des généraux.
Au même
moment où apparaissait au grand jour la secte d’El Hidjra oua
Takfir, les services secrets algériens s’attelaient à
reconstituer le MIA (mouvement islamique armé, voir les détails sur
cette affaire plus loin). D’où la volonté délibérée des généraux de
faire l’amalgame autour du FIS, parti en plein essor.
Pour contrer cet activisme du FIS, nous fûmes
amener à exploiter les dissensions qui existaient à l’intérieur de
ce parti et à recourir à la presse "indépendante" pour sensibiliser
l’opinion sur le danger de la "menace" islamique, en exploitant les
propos excessifs de certains dirigeants du FIS, et en encourageant
les "intellectuels" à dénoncer l’extrémisme islamique.
En somme
le DRS mettait de "l’huile sur le feu" pour donner
l’impression que le FIS est un parti qui cherche à imposer une
dictature islamique.
Mes officiers se chargeaient même de la
distribution (auprès des journalistes, des associations féministes,
…) et de l’affichage (dans les mosquées, les cités universitaires de
Bouzareah, Delly-Brahim, les campus des universités de Bab Ezzouar,
la fac centrale…) de tracts et communiqués signés au nom du FIS, que
rédigeait en fait le capitaine Djaafar Khelifati. Cet officieux
originaire d’El Harrach, très pieu, qui recevait directement ses
instructions du colonel Smaïn Lamari via le commandant Amar
Guettouchi, aurait (selon un rapport que m’avait fait parvenir le
capitaine Chetibi Farouk en mars 1991, mais auquel je n’ai accordé
aucune suite) un lien familial avec Ali Benhadj.
Ces faux
communiqués créaient la zizanie chez les dirigeants islamistes (le
but initial était de créer un conflit entre Abbassi Madani et Ali
Benhadj sur l’auteur des tracts, l’un suspectant l’autre de rédiger
des communiqués sans consultation ou concertation
préalable) car les "fetwas" (décrets religieux) contenues dans
les faux communiqués de la DCE appelaient les fidèles à se
débarrasser des "taghouts" (mécréants), à refuser la démocratie
"occidentale et décadente", et incitaient les gens à la peur.
Souvent les faux communiqués contenaient des
appels au Djihad, à la désobéissance ou au soulèvement et à prendre
les armes contre le pouvoir si la loi électorale ou le découpage
électoral ne respectaient pas la volonté populaire, l’ouverture de
camps d’entraînement aux militants du FIS désirant aller combattre
auprès des troupes irakiennes lors de la guerre du Golfe,
l’instauration d’un régime théocratique, l’application de la charia
(la loi coranique) …
Par la suite et dès la fin 1992 ce fut au
nom du GIA que les écrits concoctés par nos services commencèrent à
être diffusés, soit pour s’attaquer au FIS et à ses dirigeants, soit
pour revendiquer des attentats ou des assassinats, soit pour imposer
le couvre feu dans les zones islamiques comme Blida, Médéa,
Aïn-Defla…, ou encore pour exiger le départ des étrangers ou pour
menacer les intérêts français.
C’est en rendant une visite de courtoisie au
responsable du CPO pour saluer mes anciens officiers, lors de mon
séjour en Algérie en 1993, que je prie connaissance de ce qui se
poursuivait. Le capitaine Djaafar Khelifati a été secondé du
lieutenant Djerafi Abdelaziz, un officier originaire du Khroub, qui
était sous mes ordres à Constantine durant les années 1980 et que
j’avais aidé pour qu’il soit nommé en tant que chef de BSS à Jijel
puis à Tébessa.
Cet officier, qui était un bon ami, avait
partagé la même chambre que moi lors du stage de six mois que nous
avons effectués à Moscou. Voilà pourquoi rien ne m’a été caché lors
de mes visites. Par honnêteté aussi je dois dire que ces officiers
faisaient ce sale boulot à contrecœur et non pour faire plaisir au
chef de la DCE.
Un sceau du FIS a été confectionné et
permettait de donner une "authentification" à ces faux tracts. Le
style des responsables du FIS était parfaitement imité puisque
chaque tract débutait et était clôturé par un verset du Coran. Après
l’emprisonnement des chouyoukhs, l’apparition des faux communiqués
s’est poursuivie, les orientations qui y étaient contenue
obéissaient au développement de la situation et au gré des
responsables du DRS. Au début c’était au nom de la direction du FIS
qu’étaient signés ces faux tracts, ensuite aux noms de la "direction
légitime ", des "fidèles ", des groupes prônant la
"continuité ", organisation islamique X, groupe Y, mouvement
Z.etc, jusqu’à l’apparition des groupes armés qui appelaient à
combattre le pouvoir mécréant, revendiquaient des attentats,
refusaient le dialogue, et même condamnaient les leaders du
FIS.
Dès janvier 1991, de nombreux "faux" communiqués attribués
au FIS furent même lus pendant le journal télévisé de 20 heures.
Brouiller les pistes et créer la suspicion au sein même des
militants du FIS a permis à la SM de faire de ce parti une sorte de
nébuleuse. Ces faux tracts incitaient à faire croire et à démontrer
que le FIS est traversé par plusieurs courants, que sa direction
n’était pas homogène et que Abbassi Madani et Ali Benhadj n’étaient
pas en mesure de contrôler leur troupe, tout comme ils n’avaient
aucune maitrise sur les éléments de El Hidjra oua Takfir ou sur les
"Afghans" (islamistes de retour d’Afghanistan qui n’ont pourtant pas
rejoint le FIS) ou sur le noyau du MIA (puisque ni Abdelkader
Chebouti ni Mansouri Miliani n’ont adhéré au FIS).
Pour nos
chefs, dès cette époque, l’objectif était clair (et nos instructions
l’étaient tout autant): la diabolisation du FIS visait à faire de ce
parti un "épouvantail", dans le but de constituer contre lui un
"front" civil qui légitimerait plus tard l’intervention de
l’armée.
En décembre 1990, lors d’une réunion présidée par
le général Nezzar à Béni Messous à laquelle étaient conviés les
principaux responsables de la SM, le ministre de la Défense nous fit
part de mesures pour contrer le FIS, qui ne serait toléré que s’il
ne dépasse pas les 30 % des votes lors des élections législatives
qui étaient alors prévues pour le 30 juin 1991. Sinon l’ANP serait
amenée à "prendre ses responsabilités". La direction de l’Armée
n’avait que deux solutions (mais en réalité une seule
alternative) : soit la prise du pouvoir directement (ce qui était
exclu compte tenu de la lourde responsabilité vis-à-vis de l’opinion
internationale, de la réaction défavorable des pays occidentaux et
d’un éventuel embargo des soutiens financiers internationaux), soit
l’instauration d’une direction collégiale avec une façade civile. Il
ne fallait pas être grand clerc pour deviner que c’est cette
dernière option qui avait les faveurs du commandement de
l’armée.
Le scénario excluant le FIS de la course au
pouvoir a donc était envisagé dès décembre 1990, il fallait
seulement mettre en place les conditions favorables à son
exécution.
Un plan d’action concocté par les "conseillers" (les
généraux Mohamed Touati et Abdelmadjid Taright) de Khaled Nezzar et
dont l’exécution fut confiée au DRS, a été alors soumis au Président
de la République pour approbation.
J’avais fait part de certaines
réserves au colonel Smaïn Lamari, notamment sur certains aspects
antidémocratiques de ce plan dit "particulier" puisqu’il ne ciblait
que le FIS, alors que les pouvoirs publics avaient la latitude de ne
pas lui accorder l’agrément en 1989, et que la Constitution du 23
février 1989 accordait les pouvoirs au chef de l’État de dissoudre
le Parlement.
Le plan "Nezzar" comportait notamment des
mesures discriminatoires comme:
- l’éloignement des islamistes (excepté ceux qui
collaborent avec la SM) des postes sensibles.
- l’adoption d’un
découpage électoral "taillé sur mesure".
- le soutien au
FLN.
- la corruption des partis démocratiques grâce à l’octroi de
subventions, l’accès aux médias lourds.
Drôle de conception de la démocratie, qui n’est
tolérée que si le pouvoir n’échappe pas aux mains des militaires.
L’alternance signifie pour eux remplacer le FLN par un FLN bis ou à
la limite accepter un parti démocratique "domestiqué et docile" qui
obéirait aux parrains de la mafia politico-financière.
Abordant le chapitre de la lutte contre les
"extrémistes", le général Nezzar recommandait, je cite:
- la division des courants religieux en provoquant,
en exploitant et en avivant leurs antagonismes.
- la dépréciation
de l’image du FIS vis-à-vis des libertés démocratiques et des
libertés individuelles.
- l’exploitation de "l’inculture" des
extrémistes.
- la mise en cause médiatique des leaders du FIS par
la publication d’images, de propos et discours attestant de leur
incapacité à traiter les grands problèmes économiques.
- l’emploi
judicieux et savamment orchestré des médias avec l’assistance de
professionnels.
C’était là une dérive dangereuse, car de quel droit
le ministre de la défense incite-t-il les cadres de l’Armée à
devenir des hors la loi ? A quelle fin décide-t-il d’un programme
d’action psychologique ? Si les islamistes commettent des
délits n’y a-t-il pas la justice pour les sanctionner ? S’il y
avait des extrémistes n’aurait-il pas été plus judicieux de procéder
à leur arrestation ?
Pourquoi cette provocation, pourquoi cette
culture de la haine et pourquoi chercher coûte que coûte la
confrontation avec une partie du peuple algérien ? Qualifier les
Abdelkader Hachani, Mohamed Saïd, Abbassi Madani, Annouar Haddam…
d’incultes c’est aller un peu vite en besogne et si l’on
comparaissait intrinsèquement ces derniers aux Nezzar, Smaïn Lamari,
Brahim Fodhil Cherif, Kamel Abderrahmane, Mohamed Lamari (pour ne
citer que ceux que j’ai personnellement connu) le constat ne serait
guère en faveur de ces derniers …
Les responsables du DRS avec
beaucoup de zèle, ont en tout cas sauté sur l’occasion pour mettre
en pratique ce fameux plan d’action. Promotions, budget illimité et
divers avantages leur étaient promis. Les primes des éléments du GIS
ont été doublées, les cadres subalternes ont bénéficié de
logements.
En tant que militaire discipliné, même si je
n’étais pas entièrement convaincu par la nécessité d’un tel plan,
j’ai également suivi car les chefs ont réussi à nous faire croire
que la république était en danger, que les islamistes étaient
soutenus financièrement et politiquement par des puissances
étrangères, qu’ils envisageaient de fusiller tous les cadres de la
SM en cas de prise de pouvoir, qu’ils cherchent à déstabiliser le
pays et à mettre en péril ses institutions…La rengaine qui a servi
d’endoctriner les militaires et qui a embobiné une partie des
citoyens.
Cette campagne d’intox a eu de l’effet puisque au début
presque tous les officiers se sont mobilisés derrière le
commandement. Nous étions mêmes en première ligne puisqu’il
s’agissait de défendre les institutions du pays et la légalité
constitutionnelle.
La lutte contre le FIS (je précise bien contre
le FIS et non contre les islamistes, j’y reviendrai) devenait une
réalité. Fin 1990- début 1991 le commandant Abderrahmane
Benmerzouga, qui avait été mis sur la touche après le départ du
général Betchine, fut chargé par le général Toufik, au nom de la
"sacro-sainte alliance contre l’intégrisme", de prendre attache avec
Mahfoud Nahnah pour transformer l’association caritative "El Islah
oua El Irshad" qu’il dirigeait en parti politique afin de contrer
l’influence grandissante du FIS. Mahfoud Nahnah*(En compulsant les
archives du DRS en 1991 et 1992, j’ai découvert que le commandant
Abderahmane Benmerzouga était même chargé de la rédaction d’une
revue pour le compte du parti HAMAS, et fréquentait assidument
les locaux de ce parti à El Madania, il était en quelque sorte
devenu l’éminence grisede Mahfoud Nahnah) accepta la
proposition de créer le parti "HAMAS" qui deviendra plus tard le MSP
(Mouvement de la Société pour la Paix), et cela malgré l’opposition
de son second, le cheikh Mohamed Bouslimani, qui affirmait que la
"politique souille la conscience" et préférera rester à la tête de
l’association caritative "El Islah oua El Irshad" et donc loin des
"magouilles politiciennes". Lui aussi sera hélas assassiné.
Nous
étions alors loin d’en être conscient que le plan de sauvetage de
l’Algérie inauguré en décembre 1990 pour éviter au pays de sombrer
dans l’ère de "l’obscurantisme" allait conduire les Algériens à
connaître les affres d’une guerre civile sanglante.
La création d’une
structure hors la loi au sein de la DCE
Mais les décideurs militaires, dès cette époque, ne
s’en tenaient pas à l’action psychologique et à la désinformation:
ils se préparaient, à l’évidence, à des interventions en marge de la
loi. Ainsi, peu de temps après notre entretien de la fin octobre
1990, Smaïn Lamari créera au sein du CPO (Centre principal des
opérations) une structure dénommée "section de protection". Cette
structure, qui n’avait aucun caractère légal, ne figurait pas sur
l’organigramme de la DCE. Elle n’avait d’ailleurs pas de raison
d’exister car pour la mission de protection des personnalités ou des
biens, les services de sécurité disposaient déjà du SSP (Service de
sécurité présidentielle), du GIS (Groupement d’intervention
spécial), de la DGSN et de la Gendarmerie nationale.
Cette
section "protection", confiée au lieutenant Maachou, comprenait au
départ une trentaine d’éléments et recevait directement ses ordres
de Smaïn Lamari. Pour camoufler les intentions de cette structure
qui inspirera à partir de mars 1992 les fameux "escadrons de la
mort" de l’unité 192 de la DCSA (j’y reviendrai dans le chapitre 7),
ces éléments (tous des sous-officiers chevronnés) étaient
officiellement affectés comme gardes du corps et comme chauffeurs
auprès des généraux Khaled Nezzar (dont le chauffeur était
l’adjudant Aïssa, de son vrai nom Bouamer Hennane, un ancien élément
du service de surveillance [on parle dans le jargon de la SM de
"filature"]), Larbi Belkheir, Abdelmalek Guenaizia… etc. Mais ils
étaient aussi sensés assurer la protection de personnalités proches
des services ainsi que d’agents sûrs qui activaient dans les rouages
de la justice ou à l’intérieur des partis, comme le procureur
général d’Alger Abdelmalek Sayah ou Ahmed Merani, un ancien
magasinier à l’institut Pasteur d’Alger et ancien imam devenu
responsable de la commission des affaires sociales du FIS.
Cet agent du général Toufik était une "taupe"
infiltrée au sein du Madjless Echoura comme cela a été prévu dans le
plan d’action du général Nezzar. Pour les services rendus Ahmed
Merani bénéficiera d’une villa à Ain Benian sur la cote Ouest
d’Alger et d’un véhicule de service. Ahmed Merani se chargera avec
Bachir Fekih et El Hachemi Sahnouni de faire en juin 1991 une
apparition télévisée désavouant les méthodes d’Abbassi Madani et Ali
Benhadj qu’il accusera de créer la discorde (fitna).
Cette
déclaration à la télévision servira d’alibi aux généraux pour
procéder à l’arrestation des leaders du FIS. Un mois plus tard,
Ahmed Merani sera conseiller auprès du chef de gouvernement Sid
Ahmed Ghozali et sera récompensé en janvier 1996 en se voyant
attribué le portefeuille de ministre des affaires religieuses dans
le gouvernement Ahmed Ouyahia…
Puis, au fil du temps, cette section s’est
renforcée en moyens humains et matériels, dont des véhicules de
marque Fiat Regata, Fiat Uno, Peugeot 205… et même par des véhicules
saisis au port d’Alger la douane algérienne. De plus, tout le
personnel de cette section "protection" était équipé de moyens de
transmission, d’armements et de munitions (alors que les cadres de
la recherche, de l’opérationnel et de la surveillance ne seront
armés qu’à partir de janvier 1992). J’ai pu remarquer qu’ils
disposaient depuis janvier 1992 de pistolets automatiques de marque
UZI (arme de haute précision de fabrication israélienne) équipés de
silencieux.
Le lieutenant Maachou reçut de nouvelles
"attributions" * (la section est clandestine mais l’action, du moins
pour la période allant jusqu’à décembre 1991, était elle officielle)
et les éléments de cette section fantôme qui n’étaient pas affectés
à la protection de personnalités se trouvaient partout: au niveau du
port d’Alger, de l’aéroport de Dar-El-Beida, des hôtels de luxe de
la capitale… Leur mission: Contrôler les containers, faire entrer et
sortir sans papier d’identité des gens à partir du port ou de
l’aéroport, réserver les chambres d’hôtel, accompagner des
"visiteurs" (des hommes d’affaires qui ne passaient pas par le
contrôle de la PAF (police de l’air et des frontières), des
conseillers étrangers, des personnes envoyées par le colonel Mahmoud
Souames dit Habib qui était en poste à Paris, des individus dont
l’identité ne devait pas être connue officiellement…), Ils rendaient
compte directement au DCE, sans informer ni le commandant Guettouchi
Amar ni moi-même. Beaucoup de gens ne comprendront pas bien dans
quels buts Smaïn Lamari avait créé cette structure, car toutes ces
activités de contrôle "containers, hôtels, visiteurs… " pouvaient
aussi bien être assurées par nos services officiels.
Le chef de la DCE avec l’aval du général Toufik
avait sélectionné des éléments surs, qui obéissaient sans réfléchir
et dépourvus de tout état d’âme. De parfaits exécutants qui allaient
à la besogne sans rechigner, sans se poser de questions et qui
n’avaient pas le moindre scrupule. De plus ces sous officiers de
niveau intellectuel médiocre qui se comportaient en mercenaires,
étaient conditionnés et appâtés par les promotions et l’ouverture
des comptes-devises.
Dans les années de guerre qui suivirent
l’interruption du processus électoral en janvier 1992, cette
structure illégale jouera un rôle important, j’aurais l’occasion d’y
revenir (voir infra, chapitre 7). Toujours est-il que l’une des
premières opérations clandestines à mettre à l’œuvre de cette
section fut la diffusion, sur ordre du colonel Smaïn Lamari, d’une
"liste noire" de personnalités menacées de mort (confectionnée par
Aouis Azzedine et Merabet Omar, les officiers du cabinet de Smaïn
Lamari) qui circulait à Alger indiquant que les islamistes ciblaient
telles ou telles personnalités.
Cette liste
comportait aussi les noms de certains militaires, ainsi que
leurs adresses ou les immatriculations de leurs voitures. L’objectif
de la diffusion de ce faux était de renforcer le
sentiment de peur chez certains notables indécis et de les faire
basculer dans les camps anti-islamiste.
De fait, cet objectif
sera largement atteint: de nombreux intellectuels se croyant
menacés de mort deviendront des partisans
inconditionnels du clan des généraux. Tous ceux qui ont
douté ou qui n’ont pas prix au sérieux cet avertissement
(comme le journaliste Said Mekbel par exemple, assassiné le 03
décembre 1994) le payeront de leur vie. Cette stratégie du choix du
camp imposée par la terreur a permis aux généraux de bénéficier du
soutien de certains représentants de la société civile à leur
politique du "tout sécuritaire" qui prévalait à l’époque.
Les réseaux
B.M
Dès les premiers mois dans ses nouvelles fonctions
à la tête de la DCE, le lieutenant-colonel Smaïn fit preuve de sa
détermination à intervenir directement dans la manipulation - et pas
seulement l’infiltration - de la mouvance islamiste. L’affaire B.M,
qui n’a jamais été rendue publique, en est une parfaite
illustration.
B.M. était un islamiste affairiste, qui avait
bénéficié des opportunités de la conjoncture. Il était devenu un
agent de la SM (du colonel Smaïn Lamari pour être plus précis) afin
d’assurer sa promotion sociale.
En juillet 1990, l’un de mes
hommes, le lieutenant Abdelmalek, qui assurait la couverture de la
région de Dar-El-Beida, m’avait remis un rapport sur l’activisme
d’un certain B.M, militant du FIS dans les quartiers de l’Est
d’Alger, qui organisait l’importation d’équipements de transmission
(talkies-walkies, radios…) destinés aux islamistes de la région de
Bordj El Kiffan, région qui servait de repaire aux groupuscules de
El Hidjra oua Takfir (une organisation extrémiste clandestine, dont
j’aurai l’occasion de reparler).
En lisant le rapport, ce nom me
disait quelque chose: je me souvins que, lors de mon bref passage à
la tête de la sous-direction du contre-espionnage de la DGDS en
février 1990, j’avais appris que cet individu nous avait été signalé
par les services de renseignement italiens pour avoir tenté de faire
introduire en Algérie des armes à feu achetées en Italie. J’avais
alors demandé un examen de la situation de B.M. Mes doutes s’étaient
révélés exacts: lors de la perquisition effectuée à son domicile,
une arme à feu et des documents compromettants (bons de commande
d’armes, factures,…) avaient été découverts, prouvant son rôle à la
tète d’un réseau d’acheminement d’armes vers l’Algérie.
Les services de la police judiciaire de la
DGSN voulaient aussi l’arrêter dans le cadre d’une enquête
menée en septembre 1990 sur les véhicules de luxe volés à
l’étranger, car B.M. circulait à bord d’une Peugeot 605
"Taïwan".
Cette affaire, qui avait débuté en juillet 1990, avait
nécessité un mois d’investigation pour accumuler les preuves et
ficeler le dossier judiciaire. Alors que B.M qui fut arrêté par le
SRPJ (service de police judiciaire de la SM dont le siége se trouve
au centre Antar) en septembre 1990, était sur le point d’être remis
à la justice, intervint la démission du général Mohamed Betchine,
patron de la DGDS, et la réorganisation des services créant le DRS.
Le lieutenant-colonel Smaïn Lamari, qui venait de prendre la
direction de la DCE, repris l’affaire en main. Mais, au lieu de
déférer B.M devant une juridiction, il lui proposa un marché:
classer son dossier et lui permettre de poursuivre impunément son
"business dans l’import-export" en échange d’une collaboration avec
la SM. Ce qu’il accepta sans difficultés…
La générosité de B.M
était telle que sa 605 étaient souvent "prêtée" à des officiers de
la SM pour des missions ponctuelles ou pour leur besoins privées,
pratiquement dès janvier 1991.
Ayant traité personnellement
cette affaire, je me suis élevé contre la conception du DCE à
vouloir traiter avec des personnes douteuses et à les remettre sur
le "circuit" au lieu de faire triompher la justice et de sanctionner
des malfaiteurs. En guise de remerciement, B.M ramena même en
novembre-décembre 1990 à Smaïn Lamari une Citroën CX beige, qui fut
le premier véhicule blindé dont disposa un officier algérien.
Dès la fin 1990, les intentions des décideurs
étaient donc claires: Pour faire face à la contestation, à défaut
d’assassinat, l’unique moyen était la récupération des meneurs et la
corruption, soit par le biais de l’intégration politique (Saci
Lamouri, Mahfoud Nahnah, Saïd Guechi…), soit par l’enrichissement en
offrant locaux commerciaux, entreprises, affaires… (Serrar à Sétif,
Benazzouz Zebda, Ahmed Merah…).
Je reviendrai sur ces personnes et les réseaux
clientélistes créés par Smaïn Lamari quand j’aborderai la période
précédant la création du GIA (voir infra, chapitre 6), tout
comme je reviendrai sur B.M qui s’est reconverti depuis dans la
politique sous l’étiquette "indépendant" et qui siège au
parlement.
Encore un exemple sur le choix des hommes par les
mafieux qui dirigent l’Algérie.
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