LES GENERAUX ET LE GIA 4eme Partie
_______________________
Des élections sous haute tension
Début 1991, le plan d'action du général Nezzar était en œuvre. Par naïveté ou par inexpérience, les dirigeants du FIS, confiants sans doute dans le soutien populaire et ayant le vent en poupe, tout au long des premières semaines de 1991 tombaient chaque jour un peu plus dans le piège tendu par les généraux.
Les marches se succédaient au rythme des week-ends et les chefs du DRS se montraient très inquiets par ces démonstrations de force des islamistes qui dépassaient les limites tolérées. Tant que les cortèges du FIS défilaient entre Bab El Oued et la place du premier mai, cela ne dérangeait personne, mais peu à peu les revendications du FIS prenaient un caractère offensif et les marches avaient pour destination le palais du gouvernement, la Présidence de la République ou le siège du ministère de la Défense. Les dirigeants du FIS se posaient en "parlementaires" du peuple pour remettre des motions, plateformes ou doléance aux plus haut responsables de l'Etat. Leur discours était qualifié de "haineux" par la hiérarchie militaire qui multiplia les mises en garde, mais ni le président de la République (à qui ils brandissaient le spectre des élections anticipées), ni le chef du gouvernement (à qui ils réclamaient le départ) ne se montraient préoccupés par la situation qualifiée pourtant d'explosive par les décideurs. L'un et l'autre seront taxés par les généraux de "complices des islamistes".
Le DRS excellait dans l'art de manier "la carotte et le bâton", tout en étant inquiet de la montée de l'Islamisme en Algérie (pour les besoins de la consommation politique), ses adjoints Smaïn Lamari et Kamel Abderahmane alimentaient la "braise", les officiers du SRA rappelés à Alger ont reçu pour instruction de réactiver les anciens groupes paramilitaires religieux , du coup les stades de la capitale ont été envahis le soir par des groupes de jeunes qui s'entrainer aux arts martiaux (après les entrainements des équipes de football) sous les regards bienveillants des policiers.
Ce "double langage" ne surprend pas car le régime algérien a toujours su se maintenir grâce aux contradictions. Pour revenir à cette période de début 1991, une anecdote mérite d'être racontée: Alors que des agents du commandant Amar participaient à aider le " service d'ordre " du FIS pour encadrer les manifestations, les agents provocateurs de Bachir Tartag tentaient sans succès de perturber les marches du FIS.
C'est au cours de cette effervescence que le chef de gouvernement Mouloud Hamrouche préparait les nouveaux textes sur la loi électorale et sur le découpage électoral. Les autres partis politiques ne restaient pas les bras croisés, des alliances s'ébauchaient et l'opposition démocratique tentait de s'organiser. C'est durant l'une de ces interminables réunions tenues à l'hôtel Alleti que les "7+1" quel 'idée d'une grève nationale pour protester contre la nouvelle loi "qui favoriserait" le FLN, est évoquée pour la première fois. Est ce une proposition spontanée ? A-t-elle était suggérée par le DRS ? On pourrait en douter car les "7+1" ne sont jamais parvenu à s'entendre et du coup on a eu droit au "7+1-2", puis au "5+2" etc… Rien de bien sérieux.
Cette idée de grève générale fut reprise par le FIS à son compte, et menaça de recourir à ce procédé si ses revendications n'étaient pas satisfaites. C'est au cours de cette période qu'une histoire curieuse m'est arrivée.
Un premier avertissement
Le jeudi 1er février 1991, comme à l'accoutumée le FIS organisait une marche sur la capitale ; la procession du FIS démarrait de la place des martyrs à Bab El Oued, longeaient le grand boulevard (wilaya, siège de l'assemblée, grande poste), le boulevard Amirouche (commissariat central, immeuble Maurétania), l'avenue Hassiba Ben Bouali pour finalement rejoindre la place du 1er mai aux champs de manœuvre. Ce jour là comme tous les jeudis depuis décembre 1990, j'étais à mon bureau car il fallait mettre en place un dispositif de surveillance discrète pour signaler tout débordement, informer sur la nature des slogans ou revendications et identifier les "encadreurs", les responsables du "service d'ordre du FIS".
Vers 16 heures alors que je venais d'achever mon rapport destiné au colonel Smaïn Lamari, le capitaine Saoud m'a informé de la présence de Boualem Smoun, le gérant de l'hôtel El Kettani. Boualem était un ancien sous-officier de la SM, radié à la suite de l'affaire de Gafsa*(Boualem parlait le kabyle, et était très lié aux responsables locaux du parti d'Ait Ahmed), et qui nous portait assistance en mettant son hôtel à la disposition de mes services. Je pensais qu'il venait nous informer d'une réunion du FFS comme il avait l'habitude de la faire ; mais cette fois, c'était pour m'inviter à passer une soirée en famille. Sa proposition tombait à pic: un peu de détente était bienvenue dans cette période au rythme infernal qui était le notre depuis plusieurs mois.
J'habitais à Tipasa, petite ville balnéaire située à quelques 60 kilomètres à l'Ouest d'Alger où j'étais pratiquement inconnu. Bien entendu personne n'était au courant que notre absence cette nuit là lorsque je quittais avec ma femme le domicile vers 19 h 30 par ce temps sombre et pluvieux. Nous devions rentrer vers minuit, mais la soirée ayant été plus longue, j'ai préféré passer la nuit à l'hôtel et ne retourner chez moi que le lendemain.
Le vendredi matin, en retournant chez moi, je n'ai pas reconnu la porte d'entrée de mon appartement ; je suis même ressorti pour m'assurer que c'était bien l'immeuble où j'habitais. Ce fut le choc: j'avais été victime d'un cambriolage ! En entrant, une forte odeur de gaz m'assaillit ; le salon était à moitié vide et le désordre régnait dans deux des cinq chambres.
Mon premier réflexe fut d'aérer l'appartement avant de consoler mon épouse et de constater les "dégâts", puis j'ai demandé à l'officier de permanence de la sûreté de wilaya de Tipasa de m'envoyer un élément de la police scientifique de Châteauneuf. Ce qui s'est produit pose bien des questions et mérite d'être raconté: les "cambrioleurs", leur forfait accompli, avaient ouvert le gaz avant de partir, de façon à provoquer une explosion au cas où j'aurai actionné l'interrupteur lors de mon retour la nuit, faisant croire à un accident du à une fuite de gaz, comme cela se produisait de temps en temps. De nombreux indices révélaient que ce "cambriolage" n'avait rien à voir avec un vol classique:
- Les inspecteurs de la police scientifique n'ont pu relever aucune empreinte, les "voleurs" portaient vraisemblablement des gants et n'avaient laissé aucune trace. Les précautions prises indiquaient qu'il s'agissait d'un vrai travail de professionnels.
- Les voisins n'avaient absolument rien remarqué, alors même que beaucoup de choses (téléviseur, chaîne stéréo, habits, bijoux…) avaient été dérobée.
Deux pièces n'avait pas été visitées du tout, pourtant les intrus avaient pris le temps de n'emporter que les bons d'essence de Sonatrach et pas ceux de l'ANP * (l'utilisateur des bons de l'ANP est tenu de porter sur ceux ci l'immatriculation des véhicules, une enquête à partir des souches aurait permis de remonter aux auteurs du cambriolage à partir de l'identification des propriétaires des voitures).
Un voleur ordinaire ne peut pas dérober des costumes "Sonitex" (du nom de la société algérienne qui les confectionne) et ignorer des costumes "Boss" (de bien meilleure qualité) ; cela indiquait clairement qu'il s'agissait d'une simulation de vol ; de mes trois attachés-cases, seul celui contenant des dossiers de l'affaire ENAPAL et de celle de la Chambre de commerce d'Alger (y compris les enregistrements audio qui s'y trouvaient) avait disparu ; les deux autres avaient seulement été fouillés et la seule chose qui manquait était les 30 000 dinars en billets neufs qui m'avaient été remis la veille par le colonel Smaïn pour rémunérer des agents. En quoi des dossiers pouvaient-ils intéresser des cambrioleurs classiques ?
Les investigations menées ultérieurement par mes éléments et par des amis extérieurs aux services n'ont pas permis d'aboutir. Aucun délinquant n'avait eu vent de ce cambriolage, alors que, quand les victimes sont des officiers de l'armée ou des gens haut placés, la tradition des rapports noués entre policiers et membres du milieu veut que les objets volés soient restitués au propriétaire (à condition que l'identité de l'auteur reste secrète et qu'il ne soit pas poursuivi)* (Les policiers complices font le guet pendant que les malfaiteurs s'introduisent dans les appartements ou dérobent les postes radio des véhicules. Lorsque les délinquants sont pris la main dans le sac ou dénoncés par les citoyens, les policiers font semblant d'intervenir et de les embarquer … pour les relâcher un quart d'heure après. Cela leur éviterait d'être exposés à la vengeance des victimes ou a la colère des citoyens. En 1990, un ami qui a été témoin d'un vol de voiture la nuit, s'était présenté le lendemain au commissariat de police pour y faire une déposition. A sa grande surprise il constata que le vol en question n'est pas inscrit sur le registre de permanence et aucun PV contre les auteurs du vol n'a été établi. Que faut il en déduire) ?
Les commanditaires de cette opération voulaient surtout mettre la main sur les deux dossiers sus cités que j'avais continué à gérer. Le dossier de la chambre de commerce mettait à nu tous les dignitaires du régime, notamment les officiers supérieurs de l'Armée qui par l'entremise de parents et prête-noms obtenaient depuis 1989 l'agrément pour monter des sociétés et bénéficiaient de prêts bancaires (jamais remboursés).
Je suis convaincu que les commanditaires de cette opération, certainement haut placés, voulaient surtout mettre la main sur les deux dossiers "chauds" évoqués, que je continuais à l'époque à gérer. Le dossier de la Chambre de commerce d'Alger *(avec l'adoption du pluralisme en 1989 et la mise en œuvre des réformes du gouvernement, la chambre de commerce est devenu un objet de convoitise, car c'est elle l'organe qui accorde "l'agrément" indispensable à la création de projets économiques et donc de pouvoir bénéficier d'une ligne de crédit) révélait les noms de tous les dignitaires du régime, notamment les officiers supérieurs de l'armée qui, par l'entremise de parents et de prête-noms, obtenaient depuis 1989 l'agrément officiel pour monter des sociétés et bénéficier de prêts bancaires (jamais remboursés).
Ce dossier mettait également à nu les méthodes mafieuses des responsables de cet organisme: ils recensaient les projets de création d'entreprise intéressants déposés par de simples citoyens, pour les remettre ensuite à certains dirigeants du DRS, lesquels les répercutaient à leur tour aux "amis".
L'organisation mafieuse mise en place par les généraux ne repose pas uniquement sur les pots de vin comme bon nombre de citoyens ont pu le croire, c'est en fait plus sophistiqué que cela. Aux "amis" sélectionnés (généralement des gens fortunés, pour faire croire que l'argent génère l'argent) les généraux mafieux proposent le principe de "l'association". Le partenaire ou "l'associé" (qui n'est en réalité qu'un prête-nom) apporte le financement, et inscrit "l'affaire" (projet industriel, société d'import-export, bureau d'études,…) à son nom.
La contribution du général porte sur le "know how", non pas technologique, mais un savoir faire nettement plus bénéfique pour l'associé, car le général apporte sa "protection", ainsi il n'est plus question de problème du fisc, plus de tracasseries administratives ni un quelconque autre problème. Le général intervient pour débloquer les prêts bancaires, il garantit l'obtention du terrain, assure sa viabilisation, il lève les entraves en cas d'importations, règle par téléphone les problèmes de douane, du port, des surestaries,…
Voilà de quelle manière est pillée l'Algérie par le clan mafieux, qui se répartissent les secteurs: à l'un le médicament, le ciment ou les céréales, à l'autre les matériaux de construction, la bière, le sucre, le café ou les métaux ferreux, …
Les citoyens qui n'ont pas de "piston" se voyaient déboutés par les obstacles bureaucratiques (je garde encore en mémoire le cas d'un fromager de Delly-Brahim, Abderrahmane Taleb, qui avait souffert de ces agissements criminels). Au cours de mon enquête, j'avais pu constater que les responsables de la Chambre de commerce, tout comme ceux du port d'Alger ou des douanes, étaient sous l'emprise directe des responsables du DRS. Tout était verrouillé.
Malheureusement, à l'époque, je ne pouvais pas approfondir ce travail d'investigation, car nous étions pris par le "péril islamique" qu'il fallait endiguer. Au moment où tous les cadres des services étaient embarqués dans l'aventure contre le FIS, les membres du staff du général Toufik pouvaient ainsi entretenir en toute impunité ces réseaux de corruption qu'ils utilisaient pour s'enrichir. Des réseaux dont le maintien, je ne l'ai compris que plus tard, était en réalité leur principale préoccupation.
Le cambriolage dont je fus victime, c'est certain, a un rapport avec l'action engagée par le ministre de l'économie Ghazi Hidouci pour casser le mécanisme des commissions sur les importations.
L'argent est la seule et unique motivation des généraux mafieux, ce n'est ni la sauvegarde de l'Algérie du péril intégriste, ni une quelconque autre idéologie. Pour la simple raison qu'ils n'ont en pas. Les même qui ont applaudi le socialisme, se sont reconvertis au gré de la mode en islamistes (au milieu des années 1980), en démocrates, en libéraux,…
La grève insurrectionnelle du FIS
La période de mars à la mi-juin 1991 a été caractérisée par une série de rencontres opposant d'une part les dirigeants du FIS Abbassi Madani et Ali Benhadj et d'autre part les responsables du DRS le général Médiène Mohamed dit Toufik et Le colonel Smaïn Lamari, rencontres qui furent par la suite élargies au chef du gouvernement Mouloud Hamrouche et qui se tenaient toutes dans une villa appartenant au DRS sise à Moretti.
En présence de Mouloud Hamrouche les discussions portaient essentiellement sur le nouveau découpage électoral, sur la loi électorale et sur le scrutin de juin 1991 (les deux dernières rencontres ont porté sur la grève du FIS et sur les places publiques réservées aux grévistes) où chaque partie développait son point de vue, compte tenu du rôle du chef du gouvernement qui conduisait les listes du FLN rénové.
En l'absence de Hamrouche les tractations portaient sur le rôle et le fonctionnement d'une assemblée pluraliste, ainsi que de la constitution d'un futur gouvernement à majorité FIS, de la cohabitation avec le Président Chadli, etc.…
Des promesses furent même faites à Abbassi de respecter la constitution du 23 février 1989 et que les forces armées respecteraient le choix des urnes. Tout comme il a été promis aux dirigeants du FIS de lever toutes les entraves administratives afin de permettre aux islamistes de mener à bien leur futur programme gouvernemental.
Il s'agissait à ne pas s'en douter d'un bluff de la part des responsables du DRS, qui cherchaient surtout à négocier des garanties pour que le gouvernement de Ali Benhadj (qui était pressenti pour occuper ce poste) cède les portefeuilles stratégiques comme ceux de l'économie et des finances, du commerce extérieur, et bien évidemment les ministères de souveraineté comme l'intérieur, la justice et les affaires étrangères.
Sachant qu'Ali Benhadj allait se montrer intransigeant, les généraux, maniant par excellence le double langage, avaient pris le soin de mener simultanément une action parallèle: la provocation.
Tout le staff du FIS fut mis sous surveillance (écoute, filature,..) ; les responsables de la presse "indépendante" furent courtisés et sensibilisés sur la menace d'une prise de pouvoir par les fissistes. C'est ainsi que sont apparus sur les murs de la capitale des graffitis avec des slogans pro-islamistes du genre "une seule solution, l'Islam", "non à la démocratie ", "une seule loi: la Charia ", que les éléments du CPMI écrivaient à Badjarah, Bab El Oued, …
C'est également à cette période qu'un "islamiste" jamais identifié vitriolait à Telemly les jeunes filles qui ne portaient pas le hidjab, ainsi que plusieurs actions de ce genre, toutes confiées au colonel Kamel Abderahmane, le chef de la DCSA.
La DCE pour sa part s'occupait de réactiver le MIA de Abdelkader Chebouti, comme relaté plus loin, et bien sur de mener un travail de division à l'intérieur du FIS, ainsi que le travail d'intox visant à discréditer les dirigeants du FIS, ainsi par exemple l'épouse de Abbassi Madani fut considérée comme une anglaise, Ali Benhadj est un Falasha d'origine tunisienne,…
Mahfoud Nahnah avait transformé l'association caritative El Islah oua el Irshad en formation politique dénommé HAMAS, croyant naïvement que son parti allait être un contre poids pour diviser les islamistes et ratisser large à Blida et dans la Mitidja.
Etant donné que le FIS à cette époque commençait à être débordé par sa frange radicale, l'idée d'une grève germait si les revendications du FIS (notamment pour ce qui est de la loi électorale et du découpage électoral qui favoriseraient le FLN) n'étaient pas satisfaites.
L'idée de la grève fut une aubaine pour le DRS, qui fit tout pour qu'elle se produise et ainsi pouvoir éliminer le FIS de la course aux élections.
L'opuscule intitulé "la désobéissance civile" rédigé par Said Makhloufi fut diffusé discrètement à tous les responsables des bureaux communaux du FIS. Le SIT (syndicat islamique du salut) affilié au FIS fut mobilisé pour répondre au mot d'ordre de grève si le Madjless Choura prendrait la décision de le lancer.
Durant le mois de mai 1991 ce fut un véritable bras de fer entre le duo Abbassi Madani et Ali Benhadj et les responsables du DRS, surtout qu'aucun compromis n'a pu être trouvé.
En pleine campagne électorale et pratiquement le dernier jour des meetings, le Madjless Choura se réunissait ce jeudi 23 mai 1991 au siège du FIS à la rue Charras alors qu'en même temps Mouloud Hamrouche réunissait à la coupole du 5 juillet les candidats du FLN aux législatives du 30 juin.
Vers 16 heures la sentence tomba ! Le Madjless Choura a voté la grève générale à compter du samedi.
Effectivement le samedi 25 mai 1991 débutait la grève générale du FIS, qui ne fut pas un grand succès car elle était moyennement suivie, la place des martyrs à Bab El Oued et la place du 1er mai aux champs manœuvre furent occupées par les militants du FIS qui avaient érigé des tentes pour y passer la nuit. Les manifestations se succédaient entre ces deux places avec les slogans habituels "Aliha nahya oua aliha namout" "la mithak la destour kal Allah kal Errassoul" "dawla islamya", la seule nouveauté fut la "tenaille" à la tête de la procession qui symbolisait le "mesmar Djeha" à enlever en faisant allusion au départ du Président Chadli.
Ayant suivi de visu ces manifestations le premier jour, je peux affirmer que la grève du FIS fut un échec car le taux d'absentéisme relevé fut nettement inférieur à 25%, cela ne nous a pas empêché de donner des instructions fermes aux chefs d'entreprises de licencier sans préavis toute personne qui ne rejoindrait pas son poste de travail. Puis coup de théâtre, des informations qui font état d'individus barbus obligeant les commerçants de la capitale à baisser les rideaux et les obligeant par des menaces à fermer boutique, nous parviennent le deuxième jour.
Je ne pourrai dire s'il s'agit de provocateurs à la solde du DRS ou s'il s'agit d'extrémistes du FIS qui ont mené ces actions d'intimidation.
Au troisième jour il était clair que la confrontation allait être inévitable. Si les policiers suivaient passivement les cortèges des manifestants, les groupes d'intervention de la gendarmerie et le GIS (groupe d'intervention spécial du DRS) ont été mis en état d'alerte n°1 et prêt à intervenir.
Sur instruction du DRS, les "dissidents" du FIS, Ahmed Merah, Hachemi Sahnouni et Bachir Fkih, se démarqueront publiquement, lors d'une émission improvisée à la télévision algérienne, de la politique des leaders du FIS qui sèment la discorde entre les algériens et dénonçant l'aventurismede AbbassiMadani et Ali Benhadj.
A l'aube du 2 juin, la situation était intenable, et c'est à coup de grenades lacrymogènes que les forces de sécurité donneront l'assaut pour dégager les deux places publiques. Des affrontements auront lieu, occasionnant de nombreuses pertes en vies humaines.
Les blindés de l'ANP feront irruption à Alger et prendront position dans les carrefours stratégiques de la capitale. Le gouvernement de Mouloud Hamrouche venait de tomber après 27 mois d'exercice, il n'aura pas le temps de mener à terme ses reformes. Celui qui a dit "ça passe ou ça casse" venait de se casser les dents contre la chape de plomb des généraux. Il sera remplacé par Sid Ahmed Ghozali, une véritable marionnette entre les mains de la caste au pouvoir.
Ce changement à la tete de l'exécutif n'a pas mis fin aux échauffourées et les brigades anti-émeute ne parvenaient toujours pas à maitriser la situation.
Arrestation des chouyoukhs
L'Etat de siège venait d'être instauré, le couvre feu imposé et les élections législatives étaient reportées de six mois. Le nouveau chef de gouvernement avait pour mission d'organiser des élections "propres et honnêtes". Mais en réalité c'est la SM qui prit en charge tout ce dossier. Tout le mois de juin fut caractérisé par des affrontements entre forces de l'ordre et islamistes. Souvent les dirigeants du FIS étaient sollicités par les officiers du DRS d'intervenir pour calmer les esprits, alors que les présumés "meneurs" faisaient l'objet d'arrestations et d'internement.
Au siège du commandement des forces terrestres á Ain Naadja les unités de combat et un régiment de parachutistes ont été rappelées du sud pour y stationner et se tenir prêt à toute éventualité.
En sous main un groupe d'agents infiltrés au sein du FIS, composé de Ahmed Merani, Cheikh Sahnouni, Bachir Fkih,… commençait à accuser Abbassi Madani d'être derrière la "fitna" entre les Algériens. Ils passeront même à la télévision pour faire des "révélations- dénigrements" contre les leaders du FIS Plusieurs dirigeants du FIS dont Ali Djeddi et même l'ex footballeur international Salah Assad furent arrêtés.
Les responsables de l'Armée étaient partagés, ceux qui seront connus plus tard sous l'étiquette des "éradicateurs" voulaient provoquer un soulèvement des islamistes pour mieux réprimer le "mouvement insurrectionnel" et dissoudre le FIS, mais ils n'étaient pas sur de la réaction de la troupe, ni si l'ANP était prête à affronter le mécontentement populaire. Afin de mieux la préparer, il fut décidé dans un premier temps d'arrêter les leaders du FIS, puis de poursuivre la politique de pourrissement en attendant les conditions propices à la disqualification du parti de Abbassi Madani.
A cette époque le DRS croyait toujours qu'il était possible de dompter et domestiquer le FIS, le recours aux "gros moyens" (c'est à dire l'intervention de l'Armée) ne se ferait qu'en cas d'absolue nécessité. Les généraux Toufik et Smaïn Lamari étaient confiants et estimaient que les divisions au sein du FIS, le rôle des agents, le rôle de la presse et la répression (arrestations, interdictions diverses,…) allaient affaiblir ce parti de Abbassi Madani et permettre aux autres partis politiques comme le RCD, PRA,… d'être une force "tampon" entre le FIS et le FLN. C'est en fonction de ce plan que la décision d'arrêter les chouyoukhs fut prise.
Le 30 juin 1991, une unité de parachutistes accompagnée des éléments du GIS encercla les locaux du FIS, puis dynamitèrent l'entrée avant d'arrêter Abbassi Madani et quelques-uns de ses fidèles, seul Kameredine Kherbane réussi à s'échapper et à se réfugier à la Casbah d'Alger. Tous les documents non détruits furent confisqués aux fins d'exploitation par la SM.
Comme les affrontements ne cessaient pas, le commandant Guettouchi Amar tendit un piège à Ali Benhadj pour l'arrêter, en le suppléant au téléphone d'intervenir à la télévision pour pouvoir calmer les esprits car il était l'unique et seule personne à être écoutée et à qui les islamistes obéissaient.
Naïf et ne se doutant pas que Abbassi Madani venait d'être arrêté, Ali Benhadj, accompagné de Kamel Guemazi et deux autres dirigeants du FIS se présenta au siège de la télévision pour prononcer une allocution et demander à ses militants de ne pas défier les forces de l'ordre. A l'entrée, il fut cueilli et arrêté ainsi que ses trois compagnons, par les commandants Amar Guettouchi et Hamou Belouiza. Les capitaines Mustapha et Ziad ainsi que des éléments du GIS, avaient également pris part à l'arrestation du n° 2 du FIS.
Ali Benhadj fut dirigé sur le centre Antar où il passa la nuit avant d'être transféré le lendemain à la prison de Blida.
Abbassi Madani et Ali Benhadj en prison, les décideurs croyaient que le FIS était décapité et qu'il n'aura plus la capacité de mobiliser plus d'un million d'électeurs, ce qui le situerait à environ à moins de 30% de la "ligne rouge" que les généraux lui avaient tracé, et que par conséquent les élections législatives pouvaient se tenir le 26 décembre 1991.
Le DRS se chargeant d'effriter un peu plus l'électorat du FIS par les luttes intestines entre partisans et ceux qui souhaitaient le boycott des élections sans la libération des chouyoukhs. Entre temps la campagne de diabolisation du FIS battait son plein.
Le général Toufik et son staff ont dressé tous les scenario possibles y compris l'entretien du pourrissement de la situation et la réactivation du MIA dans le "cas où…". C'est à ce titre que les unités d'intervention de la police, de la gendarmerie et du GIS ont été préparées à travailler en coordination.
La décision d'interner les islamistes susceptibles de prendre les armes contre le pouvoir fut prise lors de la première réunion que nous avions tenue au bureau du lieutenant-colonel Brahim Fodhil Cherif en juin 1991. Celui-ci était à l'époque le chef d'état-major au CFT (commandement des forces terrestres) d'Aïn Naadja. Il était le bras droit du général Mohamed Lamari, le commandant des forces terrestres.
Comme ce dernier passait son temps dans les bureaux du ministère de la Défense nationale et de l'état-major général de l'Armée, l'administration de l'État de siège fut confiée au lieutenant-colonel Fodhil Cherif, qui en "bon militaire", était l'homme à tout faire à Aïn Naadja.
En récupérant les listes de la gendarmerie et de la police, nous avons constaté que la DGSN n'avait absolument aucune idée sur l'organisation des courants islamistes et ignorait totalement les structures et les réseaux islamistes, elle n'était en possession que d'informations des RG (Renseignements généraux) portant sur les islamistes qui s'étaient faits signalés ou qui furent interpellés lors des interdictions de manifestations culturelles ou musicales.
Sur les 700 noms recensés en juin 1991 (ce chiffre passera à 1 100 en janvier 1992), l'apport de la police fut d'à peine 5 %, 20 % pour la gendarmerie et 75 % fut l'œuvre du DRS tous services confondus. La structure dénommée "COB" (commandement des opérations de base, qui deviendra ensuite le PCO (poste de commandement opérationnel) venait d'être créée. Elle sera chargée de collecter des renseignements et de préparer des synthèses et des plans d'opérations pour les besoins du commandement.
Le commandant Abdelkader Benaïcha fut désigné responsable de l'unité de commandos (avant de partir en mission au Cambodge avec la première unité de casques bleus algériens, et fut remplacé par le commandant Benabdallah Mohamed), chargée du maintien de l'ordre et du soutien au GIS, aux unités d'interventions de la police et à celles de la gendarmerie (barrages, rafles, arrestations).
Les structures de commandement n'étaient pas prêtes pour lancer une opération de grande envergure contre les islamistes, mais aussi parce qu'il n'y avait aucune raison sérieuse pour le faire sans s'exposer aux critiques et sans s'attirer les foudres de l'opinion publique internationale qui ne manquerait pas de s'apercevoir du caractère dictatorial et arbitraire du régime et que la démocratie de façade n'était qu'un moyen pour duper les représentants de la société civile et qui devenaient par la force des choses les alliés de choix des généraux malgré le mépris que ces derniers leur portent.
Les généraux voulaient éviter à tout prix d'être sur le devant de la scène et l'idée d'un coup d'État militaire n'était pas à l'ordre du jour. Il y avait toujours les "civils de service" pour assurer la gestion des problèmes socio-économiques ou pour être leurs porte-voix.
En juin 1991, près de trois cents islamistes "recherchés" avaient été arrêtés et internés. Ce test fut une victoire pour les généraux qui s'attendaient au pire après l'arrestation des principaux leaders du FIS Abassi Madani et Ali Benhadj, mais les troupes du FIS curieusement ne réagissaient pas.
Juin 1991 servait de "répétition" à la partition meurtrière qui allait commencer en janvier 1992.
Cette léthargie de la part des islamistes fut interprétée par le pouvoir comme un encouragement, les incitant à poursuivre davantage les divisions dans les rangs des islamistes du FIS, qui seraient désorganisés après l'emprisonnement de leurs chefs de file. Le pouvoir, voulait dans ses calculs profiter de la situation qui s'offrait pour assurer des élections le plus tôt possible, considérant le FIS miné entre partisans et adversaires du boycott, ce dont profiterait le FLN et les forces dites "démocratiques".
Comme nous le verrons plus loin, Sid Ahmed Ghozali essaya même de prendre contact (par l'intermédiaire des chouyoukhs Benazzouz Zebda et El Hachemi Sahnouni) avec Saïd Makhloufi pour lui demander de prendre la direction du FIS, l'assurant de la disponibilité gouvernement à le financer. Sachant pourtant que Saïd Makhloufi qui était activement recherché, figurait sur la liste des personnes à arrêter par les services de sécurité, Sid Ahmed Ghozali voulait à tout prix organiser des élections propres et honnêtes sans tenir compte de la réalité du terrain qui n'était pas propice aux calculs du pouvoir, toujours aveuglé par l'idée que le FIS ne pourra en aucun cas franchir la barre fatidique des 30 % que les "conseillers" et les sponsors du chef de gouvernement avaient fixé.
Cette erreur de jugement sera lourde de conséquences et le plan préparé en juin 1991 fut remis sur le tapis dès le 1er janvier 1992.
Sid Ahmed Ghozali et le FIS
Le mois de juillet 1991 fut aussi le théâtre d'une situation cocasse. Le nouveau chef du gouvernement Sid Ahmed Ghozali, qui venait de remplacer Mouloud Hamrouche, cherchait à présenter à l'opinion publique nationale et internationale une "façade démocratique". Se fondant sur de fausses estimations fournies par le DRS (qui croyait le FIS affaibli par les épreuves de juin et par le travail de sape de ses agents au sein du parti islamiste, comme le cheikh El Hachemi Sahnouni, Bachir Fekih, Ahmed Merani et beaucoup d'autres), il espérait organiser en décembre 1991 des élections "propres et honnêtes" pour obtenir un statu quo salutaire pour le régime.
Son calcul se fondait sur la perte de vitesse de l'électorat du FIS (plus de 4 millions de voix en 1990), en considérant que l'incarcération de ses chefs historiques ferait perdre à ce parti son rayonnement.
Sous-estimant les capacités de mobilisation des leaders du FIS encore en liberté, Abdelkader Hachani et Mohamed Saïd, il croyait que son score ne pourrait que s'effriter lors des élections législatives. D'autant plus que les principaux meneurs qui incitaient à l'action violente étaient en détention: les électeurs indécis ne seraient plus importunés par les extrémistes et pourraient reporter leurs voix sur d'autres formations islamistes "modérées". En effet, les militants du FIS n'avaient pas opposé de résistance, ni recouru aux émeutes ou à des manifestations après l'arrestation des dirigeants du FIS le 30 juin 1991.
Ce calme a fait croire à Sid Ahmed Ghozali (un simple pion dans l'échiquier des généraux décideurs) que les autres partis islamiques (comme le Hamas de Mahfoud Nahnah, qui avait boycotté les élections de juin 1990, ou la Nahda d'Ahmed Djaballah), allaient grignoter des voix au FIS lors du scrutin du 26 décembre 1991.
En prévision des élections législatives La SM cherchait donc à faire imploser les rangs du FIS par le travail de sape et de division des rangs du FIS (opposant notamment les courants djaazariste et salafiste), l'entretien d'un noyau "dur" appelant au boycottage des élections ou conditionnant la participation au scrutin à la libération de Ali Benhadj et de Abbassi Madani.
Fort de ces considérations tactiques, M. Sid Ahmed Ghozali croyait dur comme fer que son vœu de tenir des élections "propres et honnêtes" allait se réaliser et qu'il parviendrait ainsi à une solution "politique" susceptible d'endiguer le raz de marée des islamistes.
De plus, pour réaliser l'objectif "pour lequel il a été désigné Premier ministre", Sid Ahmed Ghozali comptait sur l'éclatement du FIS lors de son congrès à Batna en août 1991. Mais lors de ce congrès, les djaazariste s'imposèrent, résultat qui fut accueilli douloureusement par le chef du gouvernement, car il chamboulait ses prévisions, les djaazariste étant moins malléables que les salafistes.
Le chef du gouvernement choisit de contre-attaquer en utilisant la carte des "exclus" du congrès et en proposant à Saïd Makhloufi de prendre la direction d'un FIS new look tout en l'assurant de financer ce projet et de mettre les moyens nécessaires à la concrétisation de son projet.
Sid Ahmed Ghozali qui avait organisé en août 1991 au Club des pins une conférence nationale regroupant tous les partis politiques, prit soin de ne pas y inviter le FIS, préférant envoyer à Saïd Makhloufi deux émissaires recommandés par le DRS. Le gouvernement voulait à tout prix négocier secrètement avec Saïd Makhloufi, qui était pourtant bel et bien recherché par les services de sécurité depuis juin 1991 à cause de son opuscule "subversif" incitant les islamistes à la désobéissance civile.
C'est à Chréa, sur les hauteurs de Blida, que les émissaires du chef du gouvernement, en l'occurrence El Hachemi Sahnouni et Benazzouz Zebda, rencontrèrent Saïd Makhloufi, un ancien lieutenant du commissariat politique de l'ANP, et lui présentèrent l'offre de Sid Ahmed Ghozali.
Le chef du gouvernement avait déjà sous la main dix-sept "renégats" du Madjless Choura du FIS, retournés par le DRS, qui étaient susceptibles d'adhérer à ce FIS " bis " et de le faire participer aux élections "propres et honnêtes". Mais Saïd Makhloufi refusa sèchement la proposition, allant jusqu'à déclarer que s'il n'y avait pas la crainte de Dieu, il aurait ordonné à ses hommes d'égorger sur les champs les deux envoyés spéciaux Zebda et Sahnouni. Puis il rédigea un communiqué dénonçant les manœuvres du pouvoir en vue de faire échec au projet islamique et le transmit le jour même au quotidien arabophone El Massa, qui le publia le lendemain. Digérant mal cet échec, Sid Ahmed Ghozali lavera son affront et se vengera en ordonnant la suspension de ce journal, qui fut contraint de ne pas paraître pendant une semaine.
Malgré son échec d'avoir sous la main un FIS "Taiwan", le chef du gouvernement ne se rendait pas compte que le peuple rejetait ses dirigeants et quel que soit le mode de scrutin, le découpage territorial ou autre combine, le vote ne sera que favorable aux islamistes.
Ce manque de discernement coûtera cher au pays. La campagne anti-FIS avait atteint son paroxysme en cette période, puisque le duo Larbi Belkheir-Smaïn Lamari avait organisé au Club des pins une assemblée des chefs de zaouïas *(assemblée de marabouts, que la France coloniale a encouragé pour faire de l'ombre à l'association des oulémas. Dénoncés par le FLN durant la révolution, les zaouïas ont été plus ou moins tolérées par le régime) pour "casser" l'emprise du FIS. Malgré mes efforts et ceux du capitaine Bendahmane Dahmane (responsable de l'exploitation de la presse arabophone au SRA) pour informer le commandement de l'inefficacité d'une telle mesure (cela revenait à peu près à soigner un cancéreux avec un cachet d'aspirine), rien n'y fit. Le capitaine Hocine fut chargé par mes soins de voir le directeur de l'ONAT (office national algérien du tourisme) pour offrir des séjours de "Omra" aux responsables influents des zaouïas afin qu'ils contribuent aux plans du pouvoir en incitant leurs adeptes et les "musulmans" à voter contre le FIS
Peu de temps après cette mascarade des "zaouïas" que la presse a abondamment commentée, c'est au tour du prince Mohamed El Tourki, frère du roi d'Arabie Saoudite et chef des services secrets du royaume wahhabite qui arrive en Algérie à "l'invitation" de l'APUA (association pour l'unité et l'action)" un parti politique crée par nos soins en guise de devanture démocratique (alors qu'en réalité ce sont les services et le général Larbi Belkheir qui l'avaient invité), pour animer une conférence au club des pins. L'assistance était composée à 95 % de cadres du DRS. C'est à cette occasion que le prince Abdallah Tourki, responsable des services secrets saoudien et en même temps secrétaire général de la ligue islamique mondiale, déclara que l'Arabie Saoudite par le biais de cette organisation, avait remis un chèque d'un million de dollars au parti de Abbassi Madani, révélation qui, le lendemain de cette visite, a fait la une des journaux de toute la presse algérienne *(comble de la manipulation: une copie dudit chèque avec le montant inscrit dessus, fut bien sur publiée sur l'un des quotidien inféodé au DRS). Les partis démocratiques et la presse indépendante "anti-FIS" se frottaient la main, il y avait là la preuve d'un financement extérieur. Ce qui est légalement interdit.
C'est sous Sid Ahmed Ghozali que la presse qui était libre du temps de Mouloud Hamrouche va voir son espace se rétrécir, car les journalistes subissaient un "harcèlement" terrible de la part des services, les obligeant soit à collaborer soit à subir les contraintes judiciaires et administratives, les suspensions de parution et les menaces. Voilà comment naquit une catégorie de mercenaires de la plume, destinée à discréditer toute une corporation qui recelait pourtant des journalistes remarquables par leur qualité, leur honnêteté et leur objectivité.
Parmi les méthodes d'harcèlement dont furent victimes les journalistes, je pourrai citer les lettres de menaces, les appels anonymes et même l'envoi de linceul et de morceaux de savon, pour leur faire croire que leur mort est programmée. Ces mêmes méthodes furent utilisées avec des policiers, des magistrats, des intellectuels,... obligeant la société à constituer un "front" contre l'islamisme politique en général et le FIS en particulier. Il faut aussi relever que de tous les partis politiques islamistes, seul le FIS fut mis sur la sellette par les généraux, alors que Hamas de Mahfoud Nahnah et Nahda de Djaballah n'ont pas essuyé les foudres des militaires.
L'affaire de Guemmar
Les premiers groupes islamistes de l'ère "démocratique" qui prônaient la violence se sont manifestés à partir de 1990, et furent plus ou moins tolérés. Et même si certains éléments étaient arrêtés par les services de police, ils étaient condamnés à des peines légères, qui leur permettaient de faire du prosélytisme dans les centres de détention de Serkadji, d'El Harrach et d'ailleurs.
Certains islamistes dangereux appartenant à la secte d'El Hidjra oua Takfir, dont Sedikki Nouredine et quelques-uns étaient mêlés à l'affaire du vol d'explosif de Jijel, *(en 1987 à Texanna près de Jijel à environ 400 kilomètres à l'Est d'Alger des militants de la "cause islamiques" ont dérobé d'une carrière plusieurs tonnes d'explosifs dont une grande partie ne fut jamais retrouvée) avaient même réussi l'exploit de s'évader du tribunal militaire de Blida en délestant les gendarmes chargés de leur surveillance des PM-Kalachnikov.
Un certain Omar dit "commando", islamiste qui sévissait aux environs de Meissonnier, un quartier du centre d'Alger, quoi qu'étant recherché par les services de sécurité, n'était nullement inquiété et s'occupait allègrement de la vente de friperie à El Akiba de Belcourt, tout comme il voyageait régulièrement à destination Biskra et Ouargla où, paraît-il, il avait de la famille.
Le lieutenant Zemali El Hadi (dont le père ancien officier de la SM a été radié pendant la purge de 1987) qui habitait le quartier de Meissonnier qui m'avait signalé plus d'une fois sa présence à son domicile, s'étonnait de le voir régulièrement chez lui alors qu'une simple souricière aurait permis l'arrestation de cet homme dangereux.
En ces moments de "lutte psychologique" un intégriste vitriolait au Telemly les jeunes filles qui ne portaient pas le hidjab ; ce "mystérieux" extrémiste religieux ne fut jamais identifié et ni arrêté par les services de police. Et pour cause, il sortait de la caserne du CPMI de Ben Aknoun. Information que j'avais pu recoupé et confirmé auprès de plusieurs de mes ex officiers mutés dans cette unité.
Pendant que se poursuivaient les tractations de Sid Ahmed Ghozali avec le FIS (en fait, il sous-traitait pour les généraux Nezzar, Toufik, Lamari) conduites sur le plan légal par l'intermédiaire d'Ahmed Merani et Saïd Guechi, et sur le plan occulte par les deux chouyoukhs aveugles (Zebda et Sahnouni) se poursuivaient, les colonels Smaïn et Kamel Abderrahmane mettaient sur pied les maquis islamistes en organisant une série d'actions violentes qui seront attribués au FIS (et bien sûr revendiqués par des communiqués sortis du centre Antar) pour le "disqualifier" de la lutte au pouvoir en cas de victoire par les urnes.
C'est ce que confirmera, onze ans plus tard, l'ancien bouyalistes passé au service de la SM, Ahmed Merah. Suite à l'interview que j'avais donnée le 1er août 2001 à l'émission "Bila Houdoud (sans frontières)" de la chaîne arabe Al-Jazeera, Merah donnera à son tour une interview publiée le 20 août 2001 dans Le Quotidien d'Oran, où il a confirmé certains des propos que j'avais tenus, en donnant même des détails que je n'avais pas pu, faute de temps, donner à l'antenne: Merah y a expliqué qu'effectivement la Sécurité militaire avait planifié le terrorisme mais en manipulant des islamistes, dont moi-même et ceci dès 1989, dans le but de remettre en cause le processus démocratique.
J'en veux pour preuve l'affaire de Guemmar en novembre 1991 et la programmation de la libération de Chebouti, Mansouri Meliani et consorts le 29 juillet 1990, au lendemain de la victoire écrasante du FIS aux élections communales du 12 juin 1990". Et d'ajouter: "Grâce à sa fonction à la wilaya, Samraoui avait été informé suite à un incident qui m'avait opposé à la police dans l'accomplissement d'une mission en 1991, alors que j'étais détaché auprès du commandant Guettouchi Amar, qu'un bouyalistes était doté d'une Renault 9 grise immatriculée sous le n° 06844-188-16, puis d'une autre R9 grise, sous le n° 04691-188-16, avant d'être doté d'une autre R9 grise, immatriculée à Tizi- Ouzou à mon nom, en date du 3 octobre 1990, sous le n° 05637-184-15. Je précise que pour la cession du troisième véhicule à mon nom, Tizi-Ouzou avait été retenue du fait de l'absence du FIS dans cette l'APW à majorité RCD, ce qui évitait tout risque de divulgation".
La Sécurité militaire avait donc planifié le terrorisme dans le but de remettre en cause le processus démocratique ! Et Ahmed Merah, l'intégriste retourné, accomplissait une mission pour le compte de la SM depuis… 1989. Je dois préciser qu'il n'a jamais été détaché auprès du commandant Amar Guettouchi, puisque la notion de "détachement" n'existe pas au sein de la SM. Il n'y a que les PCA (personnels civils assimilés) qui exercent officiellement avec ce statut or les agents, eux travaillent clandestinement.
De plus, le fait pour un agent de disposer de deux, voire trois, "véhicules de service", alors que des officiers supérieurs de l'Armée ne peuvent prétendre à ce genre de privilège, est très significatif de la nature de sa mission, qu'il s'est bien gardé de révéler dans cette interview.*(Connaissant les méthodes du DRS je peux affirmer que les généraux Médiène Mohamed alias Toufik et Smaïn Lamari, ne pouvant prendre le risque de me répondre directement, ils avaient chargé un "porte-voix" pour le faire, de surcroit dans un journal très proche du DRS, et ce dans le but de discréditer mes propos et propager la fausse idée selon laquelle ma défection est liée à mon rappel en Algérie (comme l'a rabâché le général Nezzar à Paris lors de son procès contre le sous-lieutenant Habib Souaidia) d'où ma réaction contre la politique des généraux qui ne serait qu'une soit disant "amertume" de ma part. Comment se fait il qu'un civil qui a aucune relation avec moi puisse être au courant qu'un membre de ma famille soit hospitalisé, alors qu'en dehors de mes responsables directs personne, pas même mes propres amis n'étaient au courant de cette histoire. Les responsables de la SM qui croyaient bien faire en ripostant à mes assertions ne font que confirmer mes dires, ils lui ont communiqué les immatriculations "civiles" des véhicules alors qu'un véhicule du DRS (donc militaire) ne peut circuler que s'il est muni d'un carnet de bord. Pour me discréditer il affirme que Chebouti est un imam en gandoura qui n'a jamais conduit, pourtant je n'ai jamais dit que Chebouti conduisait, j'avais pourtant bien dit que la SM avait mis à sa disposition un véhicule du service que je dirigeais en communiquant la marque et la couleur – la cassette de l'émission fait foi et pourrait être visionnée).
Autre point curieux, comment un agent arrive-t-il à se souvenir avec précision des immatriculations des véhicules que le DRS avait mis à sa disposition il y a dix ans ? C'est sans commentaire.
Merah confirme que la libération des bouyalistes dont Abdelkader Chebouti le 29.07.1990 fait suite à l'écrasante victoire du FIS aux élections locales, comme il fallait discréditer le FIS, le rôle de la résurrection du MIA entrait dans la stratégie des généraux d'interrompre le processus démocratique, car leur calcul politique s'était avéré totalement erroné. Ayant tablé sur l'affaiblissement du FLN et la parcellisation des partis politiques entre toutes les tendances, les généraux se retrouvaient avec un parti qui menaçait jusqu'à leur existence si le processus électoral venait à être poursuivi.
Comme l'évoquait au passage Merah, l'attaque le 29 novembre 1991 de la caserne de Guemmar, un poste de commandement des gardes frontières situé dans le sud du pays, faisait partie du plan: c'était une opération planifiée par le DRS *(il s'agit plus précisément du CMI de Ouargla qui dépendait de la DCSA de Kamel Abderahmane. Chose que je n'ai su qu'en juillet 1995 lorsqu'un officier des services me fit part de certains détails me confortant dans l'idée que cette opération obéissait à la stratégie définie par le plan de Nezzar de décembre 1990 ; en réalité ce plan a été élaboré par les généraux Mohamed Touati et Abdelmadjid Taright qui était le commandant de la Marine nationale à cette époque), utilisant des islamistes manipulés, qui visait à impliquer le FIS en tant que structure politique.
En réalité, l'attaque de Guemmar, contrairement à ce qui a été révélé par des transfuges de l'ANP *(selon le témoignage d'autres officiers, dont le capitaine Chouchane, cette opération de la DCSA s'inscrivait dans un plan de cinq ou six provocations du même type, qui avaient été planifiées pour cette date dans le cas où le FIS aurait confirmé sa participation aux élections, justifiant ainsi leur annulation avant même qu'elles aient lieu. Mais Abdelkader Hachani ayant déjoué ce plan ; il a indiqué aux militaires que le FIS n'irait pas aux élections et du coup les opérations ont été annulées sauf celle de Guemmar, dont le responsable local a pris l'initiative seul ; ensuite début décembre juste avant la date de clôture Abdelkader Hachani surpris tout le monde en annonçant que le FIS participerait aux élections) devait se produire entre le deux tours de scrutin, dans le cas où le FIS serait sur le point de remporter la majorité au Parlement. Ce qui aurait permis de justifier l'interruption du processus électoral par l'armée. Malheureusement, un fâcheux contretemps s'est produit. Alors que toutes les conditions pour mener cette opération avec succès étaient réunies et constatant que Abdelkader Hachani hésitait à annoncer la participation du FIS aux élections législatives, impatient, Amar Lazhar, un ex-élu FIS de l'APC d'El Oued,, qui ne recevait aucune instruction de la part de son officier traitant du DRS, prit l'initiative, avec le concours d'un groupe "d'Afghans" dirigé par Aïssa Messaoudi dit Tayeb El Afghani et Mohamed Dehenne, de passer à l'action le 29 novembre 1991. Cette nuit-là, une vingtaine "d'Afghans" dont le maire de Guemmar lui-même et le chef du bureau local du parti FIS Abdelhamid Baghli, n'ont eu aucun mal pour assaillir le poste-frontière de Guemmar et emporter un important lot d'armes et de munitions.
Cette action, qui se solda par sept victimes (tous des militaires du contingent), fut condamnée unanimement par la presse et les partis politiques, y compris par le FIS (Abdelkader Hachani, dans un entretien télévisé, mit au défi le général Nezzar d'apporter la moindre preuve de l'implication du FIS dans cette affaire) ; mais elle ne pouvait avoir d'effet immédiat, parce que le chef du gouvernement tenait toujours à ses élections "propres et honnêtes", où, espérait-il, le FIS serait représenté par des marionnettes à la solde du pouvoir.
L'affaire de Guemmar servit en tout cas de prétexte pour charger le FIS, le responsable de l'opération étant un ex-élu du FIS. Ce fut également le signal donné aux troupes de commandos-parachutistes stationnées au niveau de la 4e région militaire (commandée par le général Abdelhamid Djouadi) de les préparer à la chasse et aux massacres des islamistes, puisque tous les présumés auteurs de l'attaque de Guemmar (dont de nombreux innocents) ont été pourchassés et anéantis. En effet durant plusieurs semaines les unités de commandos-parachutistes ont mené une véritable chasse á "l'islamiste" dans toute la région d'El Oued. Cet exercice servait aux troupes spéciales de l'ANP de pouvoir "s'entrainer" avant la grande répétition qui s'annonçait à partir de janvier 1992.
Provocations…
Dans la nuit du 23 au 24 décembre 1991, soit deux jours avant le début des élections, deux véhicules banalisés du CPO avec chacune à son bord quatre sous-officiers avaient quitté le centre Antar vers 22 heures pour "patrouiller" dans les zones à risque, Bordj El Kiffan, Les Eucalyptus et El Achour. Ces quartiers étaient connus pour être des fiefs des islamistes dangereux, ce qui n'a pas empêché le commandement d'y envoyer ces jeunes militaires sans armes.
Vers une heure du matin, aux environs de Bordj El Kiffan, roulant à 30-40 kilomètres à l'heure un véhicule suspect s'approche des deux voitures. Les jeunes sous-officiers n'ont pas le temps de dévisager les occupants lorsque l'un d'eux tire sur eux à bout pourtant deux coups de feu. Atteint de deux balles à la tête, l'un des militaires (originaire de Rélizane, dont je n'ai plus souvenir du nom) qui faisait partie du service d'investigation du capitaine Hocine devait décéder quelques instants plus tard. Comme à Guemmar, comme à Béni-Mered quelques jours plus tôt lorsqu'une caserne de la gendarmerie fut attaquée, il faisait partie des premières victimes de la longue liste à venir des morts en service commandé.
Le lendemain, le colonel Smaïn Lamari réunissait tous les cadres de la DCE et du GIS au réfectoire du centre Antar pour les sensibiliser sur le danger de l'intégrisme islamiste, dont les adeptes n'hésiterait pas à assassiner froidement les militaires. Ce discours avait pour dessein de "remonter" les militaires contre les islamistes et les préparer aux affrontements ultérieurs. Mais pourquoi avoir envoyé des militaires désarmés dans ces endroits réputés fiefs des islamistes ? S'agissait-il de préparer psychologiquement les militaires à la mort et à la haine ? Je suis convaincu que ce discours avait pour dessein de "remonter" les militaires contre les islamistes et de les préparer aux affrontements ultérieurs. *(le sentiment qui prévalait en ce moment était un sentiment de colère contre le responsable de la DCE qui envoyait à la mort certaine de jeunes sous-officiers dans des endroits réputés dangereux, je n'avais pas encore réalisé le cynisme qui guidait les chefs du DRS, pour qui les vies humaines n'avaient aucune importance et que seul compter "l'ordre" qu'il voulait imposer). C'est aussi à partir de cette réunion que ne nombreux cadres furent imprégnés de la notion "tuer ou être tué".
Il importe ici de faire la différence entre les vrais maquis islamistes et ceux créés par la SM.
Avant juin 1991, il n'y avait pratiquement pas de maquis islamistes: les éléments du groupe extrémiste El Hidjra oua Takfir (dit "HOT"), le MIA "version 1990" ou les réseaux "Afghans" n'avaient, je le répète, aucun lien avec le FIS ; ce n'est que par solidarité avec les victimes des exactions et de la répression que tout bascula. En effet, c'est à la suite de la grève du FIS en juin 1991 et des arrestations qui s'en sont suivies que beaucoup d'islamistes ont été poussés à la clandestinité.
Le "terreau" existait, et les "Afghans", les "HOT" et quelques militants du SIT persécutés ont pu constituer des groupes épars qui ne pouvaient pas menacer la sécurité du pays. Cependant, le travail de sape du DRS, l'oppression, la "structuration" des maquis par les agents bouyalistes comme Merah et consorts, et plus tard les camps de sûreté au sud, furent les ingrédients de "l'explosion". Le rôle de la SM fut d'éliminer les individus dangereux (Sayah Attia, Sid Ahmed Mourad alias "Djaafar El Afghani", Cherif Gousmi, Mansouri Meliani), et de retourner ce que j'ai surnommé les "malléables".
|