LES GENERAUX ET LE GIA 6eme Partie

                        

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1991-1992: la création des GIA par les services

 

Dès l'annonce de l'état d'urgence le 9 février 1992, tout le dispositif était fin prêt, la répression était confiée aux trois structures de sécurité et furent progressivement renforcée par le GIS et les unités spéciale de l'ANP.

Les mésententes entre les "bleus" (police) et les "verts" (gendarmes) n'avaient pas permis aux forces d'intervention de pouvoir cohabiter ou d'être complémentaires.
Le Groupement d'intervention rapide (GIR) se déployait seul ou accompagné des unités de l'ANP, qui était représentée par le 18eme Régiment aéroporté (18eme RAP) et le 12eme Régiment des para-commandos (12eme RPC).

Le groupe d'intervention de la police, initialement formé dans l'anti-émeute, était quant à lui encadré par le Groupe d'intervention spécial (GIS) du DRS.A partir du limogeage du général Mohamed Lamari fin mars 1992, l'administration de l'état d'urgence n'a plus été faite à partir du commandement des forces terrestres de Ain Naadja, mais à partir des bureaux du ministre de l'intérieur et du DRS. Cette situation a engendré quelques frictions entre le général Toufik et le DCE qui à son gout, roulait trop pour le général Larbi Belkheir.

Compte tenu de la conjoncture marquée par la menace islamiste, puis d'une succession d'événements inédits comme la mort de Boudiaf, les différents  procès, … avaient permis de resserrer les rangs.
Dés cette période le 18eme RAP (commandé par Alaimia), le 12eme RPC (Atamnia) puis le 4eme RAP avaient été regroupés au niveau du secteur militaire à Dely Brahim où se trouvaient déjà un bataillon de la police militaire, un régiment de reconnaissance et une équipe de la DCSA.

Pour leur part les unités de la police, une section du GIS (dirigé par Hamou Belouiza  puis par Khemene Abdelkader) et une équipe de la DCE (Chaker Ahmed) se sont installés à Châteauneuf, devenu le siège du PCO ; le poste de commandement opérationnel. Châteauneuf  a également servi de siège à l'ONRB (l'office de répression du banditisme).

Cette structure a été créée en avril 1992 à l'initiative du général Larbi Belkheir. Il s'agissait en fait d'une nouvelle ruse destinée à faire croire que la lutte contre l'intégrisme islamique était menée par les forces de la DGSN, alors qu'en réalité, après le limogeage du général Mohamed Lamari le 29 mars 1992, les prérogatives du PCO (poste de commandement opérationnel) de Aïn-Naadja furent transférées à Châteauneuf, caserne qui offrait l'avantage de disposer de cellules pour les interrogatoires. La lutte anti-islamiste proprement dite était alors surtout menée par les éléments du GIS et des forces de police. Officiellement, l'ONRB était dirigé par le commissaire Kraa Tahar, secondé de Mohamed Issouli et Mohamed Ouadah, dépendant donc de M'hamed Tolba, le directeur général de la sureté nationale ; mais en vérité, ces commissaires exécutaient les directives du DCE, qui recevait lui-même ses instructions des généraux Belkheir et Toufik.

M'hamed Tolba
M'hamed Tolba

À la mort de Boudiaf, l'ONRB disparaîtra avec le retour aux commandes du général Mohamed Lamari dès juillet 1992 et les unités de l'ANP (en particulier les commandos parachutistes comme le 18eme RAP, le 12eme RPC et le 4eme RAP et la police militaire) et de la gendarmerie nationale furent incorporées dans le dispositif de lutte antisubversive sous l'appellation des "forces spéciales".

Pour éviter une confusion entre les différentes structures opérationnelles de la DCE (à sa tète le colonel Smaïn Lamari) et de la DCSA (dirigée par le colonel Kamel Abderahmane), il est utile de rappeler qu'au moment où l'état d'urgence a été décrété il n'y avait que les CRI (centre de recherche et d'investigation) qui relevaient de la DCE et les CMI (centre militaire d'investigation) qui eux dépendaient de la DCSA. Plus tard avec la création des CCCLAS (centre de commandement de la lutte antisubversive) les CMI ont été restructurés en CTRI (centre territorial de recherche et d'investigation) englobant aussi des unités des forces spéciales engagées dans les opérations d'arrestations et de neutralisation des membres des groupes terroristes.

Les CRI et les CMI ont les mêmes attributions: la recherche du renseignement, enquêtes de sécurité, prévention, le suivi des partis politiques, la neutralisation des suspects, …, à la seule différence que les CRI s'occupent des affaires civiles et les CMI des affaires militaires, mais à partir de Mai-Juin 1992, avec l'intensification de la lutte contre l'intégrisme et la manipulation de la violence, les CMI furent totalement engagés dans des opérations "sécuritaires", comme l'infiltration et le noyautage des groupes armés.

A Blida par exemple dès 1993 le CMI et le CRI avaient pratiquement fusionné donnant naissance au CTRI. Le rôle du DRS était exclusivement consacré à la recherche du renseignement et le noyautage du GIA, tandis que les forces spéciales de l'ANP, conduites par le général Mohamed Lamari s'appliquaient à "nettoyer" les poches de résistance des groupes islamiques qui n'étaient pas contrôlés par les généraux. La lutte sera menée avec une férocité et une abomination qui dépassaient l'entendement.

Bombardement au napalm, utilisation de l'artillerie et des hélicoptères de combats, et l'ordre de ne pas faire de prisonniers, démontrent les méthodes inhumaines employées par les généraux sanguinaires pour venir à bout d'une guérilla qui n'avait au départ qu'un seul objectif: Celui de remettre en cause la mise sous séquestre de l'Algérie par un clan des généraux déserteurs de l'armée française.

 

La stratégie du GIA made in "Antar"

Pour lutter efficacement contre les islamistes, les responsables du DRS mirent en œuvre bien avant 1992 une stratégie reposant sur trois types d'actions, qui furent simultanément employés.
La lutte armée proprement dite, qui engageait les unités de l'ANP (les troupes aéroportées au début, puis les troupes spéciales à partir de juillet 1992), le GIS, les forces de police et de gendarmerie, et ultérieurement (à partir de 1994) les milices de "patriotes" et les groupes de légitime défense.

L'infiltration des groupes islamistes qui sont passés à la lutte armée dans les premiers mois de 1992, principalement le MIA, la secte El Hidjra oua Takfir, les "anciens d'Afghanistan" et le groupe composé des  militant du Syndicat islamique du travail de Omar Eulmi, reconvertis en moudjahidine après les arrestations opérées de juin 1991*(pour une meilleure compréhension, il est utile de préciser que certains membres du syndicat islamique du travail sont entrés en clandestinité dès Juin 1991 pour échapper aux arrestations qui ont touché les dirigeants du SIT, toutefois ils n'ont commencé à s'organiser en mouvement de guérilla qu'après l'interruption du processus électoral. Les frères Eulmi seront d'ailleurs avec Said Makhloufi derrière la création du MEI (mouvement de l'Etat islamique) ; ce travail d'infiltration s'est opéré de trois manières:

1- Par des militants islamistes retournés, pour la plupart arrêtés par les services puis "remis en circulation" pour noyauter les maquis islamistes (dès février 1992, les camps de sûreté du sud et les centres pénitentiaires furent investi *(c'est à l'initiative du colonel Smaïn Lamari que cette opération fut réalisée par le capitaine Chaker Ahmed qui recruta un certain Mamou Boudouara, voyou et alcoolique notoire à Belcourt, devenu du jour au lendemain un fervent partisan de l'état islamique) par de faux islamistes délinquants, qui, une fois élargis, constitueront, à partir de 1993, des groupes armés qui devaient être actifs dans les régions connues pour leur soutien au FIS).

2-Par des militaires se présentant comme "déserteurs", qui ont rejoint les maquis de Chréa, Zbarbar, Tablat et de Kabylie avec armes et bagages (connus pour leur fréquentation assidue des mosquées, ils étaient acceptés sans méfiance, alors qu'il s'agissait bien d'agents en mission pour le compte du DRS ; Par des responsables des bureaux communaux du FIS, recrutés par le DRS et dont la mission consistait seulement à inciter les jeunes militants à prendre les armes contre les "taghouts [mécréants] qui ont spolié la oumma de la victoire électorale".

3-La création de toutes pièces, par le DRS, de groupes armés "islamistes" autonomes, qu'il fallait fédérer. C'est ce travail délicat qui n'a pas bien fonctionné, car il exigeait un secret absolu, donc des officiers sûrs, et une parfaite coordination entre les différents services du DRS chargés de créer ces groupes: le CPO (Centre principal des opérations, ou "Centre Antar") du commandant Amar Guettouchi, le CRI (Centre de recherche et d'investigation) de Blida du commandant Mehenna Djebbar, le CPMI (Centre principal militaire d'investigation) du colonel Athman Tartag, dit "Bachir", et bien sûr le chef de la DCE, Smaïn Lamari, et son compère Kamel Abderahmane, chef de la DCSA, qui chapeautaient cette opération.

Sid Ahmed Lahrani, membre du bureau national du FIS et agent de la DCE  avait  remis à Omar Eulmi début mars 1992 un double du cachet confectionné par les services techniques du CPO à Antar, au nom du "mouvement pour l'Etat islamique" destiné à authentifier les communiqués que rédigeaient les responsables du SIT. L'original du cachet se trouvait au centre Antar et servait à rendre crédibles les communiqués élaborés par la SM.

À cette époque le GIA tel qu'il est connu aujourd'hui n'existait pas et il était surtout question de "mouvement islamique" ou "mouvement armé" qui avec la propagation et la multitude d'organisations de "résistance" à l'interruption du processus électoral, ont donné naissance au "groupe islamique armé" tel qu'il sera connu à partir de fin 1992, une sorte de fédération de tous les groupes existant et dont beaucoup n'étaient pas connus des services de sécurité, car mus spontanément par le sentiment d'injustice et de révolte à la suite des arrestations arbitraires qui ont suivi le coup d'état de janvier 1992.

Pour mieux apprécier la situation qui prévalait en Février-Mars 1992, il opportun de signaler que de nombreux groupes se sont constituer dans les mosquées comme à Belcourt au niveau de la mosquée Kaboul, à Bab El Oued au niveau de la mosquée Ketchaoua, à El Harrach à Makaria, … un sentiment de révolte s'était emparé des jeunes qui affrontaient des policiers ou des gendarmes, lançaient des cocktails Molotov contre les commissariats ou les fourgons de la police,…c'est dans cette atmosphère délétère (un pourrissement soigneusement entretenu par les chefs militaires) qu'il faut considérer les événements.

De ce fait de nombreuses cellules étaient constituées de vrais militants islamistes, donc non encore infiltrées, d'ou la répression féroce qui fut déclenchée au départ.
Je crois que les responsables du DRS envisageaient surtout une violence contrôlée et maitrisable. D'ou la nécessité d'agents de disposer d'agents influents d'un certain niveau. J'avais cité Sid Ahmed Lahrani ou Merah, mais un autre agent a, non moins important, a joué un rôle indiscutable. Il s'agit de Gharzouli Abdelkrim dit Kari Said. Son parcours est pour le moins obscur. Il n'avait à ma connaissance  pas fait partie des agents de la DCE. Pourtant le rôle qu'il a joué entre 1991 et 1994 m'amène à déduire qu'il a probablement roulé pour la DCSA à moins qu'il fut manipulé sans son consentement par une tierce personne avant qu'il ne soit effectivement recruté lors de sa détention au bagne de Tazoult.
Kari Said  apparaît dès 1991 comme un élément très actif dans la mise en place des maquis islamistes dans l'algérois et a pris part à de nombreuses réunions clandestines, portées à notre attention suffisamment à l'avance sans qu'il y ait intervention de notre part ou qu'il soit inquiété *(Compte tenu des méthodes barbares employées pour neutraliser les verrais maquis ou pour arrêter des individus dangereux ; s'il n'y a pas eu d'intervention alors que le service était au courant la seule explication à donner c'est que parmi les membres présents à ces réunions  figure une taupe importante encore utile). De plus Kari Said n'avait jamais pris part directement à des opérations. Arrêté en février 1992, détenu à la prison de Tazoult, il fera partie des 1200 fugitifs, évadés de cette prison en mars 1992.

Faisait-il partie des éléments que la SM a remis "dans le circuit" ? Etait-il en "mission commandée" pour faire du prosélytisme dans la prison et cibler les probables recrus au profit des services de sécurité ? Je ne peux hélas pas apporter de réponse franche à toutes ces questions, en revanche  ce qui est sur c'est qu'après son évasion, Kari Said reprendra du service et participera à de nombreuses réunions d' unification des GIA avant d'être définitivement éliminé en novembre 1994 pour laisser place nette à Djamel Zitouni.

 

Un sous-Officiers transformé en émir

Le cas de l'adjudant Omar, de son vrai nom Belaala Youcef, est typique des méthodes employées. Ce jeune sous-officier natif d'El Eulma, s'était engagé dans l'armée en 1978 après son échec au baccalauréat. Grand, sportif, il fut major de promotion lors de la formation qu'il effectua à l'école de la Sécurité militaire de Béni-Messous en 1979 et 1980. C'est d'ailleurs durant sa formation, alors que j'étais instructeur, que j'ai décelé ses bonnes aptitudes, son excellent niveau d'instruction et sa capacité au travail, et c'est pour cette raison que Lorsqu'il fut muté à Constantine, je l'avais choisi pour s'occuper de mon secrétariat de 1983 à 1987 et il s'acquittait convenablement de sa tache. C'était en quelque sorte le sous-officier modèle que tous les responsables convoitaient.

L'histoire ce sous-officier "émir" que je relate de ci après est une histoire authentique qui me fut rapportée dans les moindres détails en juillet 1995 par l'adjudant Harkat Seghir, voisin à Constantine et que j'avais aidé à réintégrer le service en 1982 après sa radiation au cours de la même année. Le témoignage de ce sous-officier n'est pas  à mettre en doute tant il a fait preuve de  sincérité à mon égard durant toute sa carrière, il m'avait justement fait cette confidence pour se plaindre des méthodes mafieuses de son nouveau chef car il craignait pour la vie de ses deux fils qu'il a enrôlé au CRI de Constantine. Il a été aussi un témoin oculaire de l'arrestation et de la torture infligée à l'adjudant Belaala Youcef dit Omar.

En 1992, l'adjudant Omar était en toujours en fonction en tant que secrétaire au bureau régional de la prévention qui relevait du CRI situé à la caserne Benmaati de Constantine (mitoyenne du stade Benabdelmalek et qui fait face au siège de la wilaya).
Au printemps 1992, il reçut l'ordre du colonel Farid Ghobrini qui était à l'époque le responsable du CRI (il avait continué le travail sous le colonel Kamel après 1992), de prendre la tête d'un petit groupe islamiste armé (groupe composé de jeunes islamistes, qui bien que sachant que leur "émir" soit un cadre de la SM, ignoraient qu'ils roulaient pour le DRS.

Le fait de commettre des attentats ciblées à fini par convaincre les jeunes illuminés qu'ils combattaient pour la "cause islamique" ; c'est cette méthode de vrais faux maquis crées un peu partout dans les zones "chaudes" qui est à l'origine du fameux "qui tue qui ?" évoqué plus haut, qui, grâce aux informations qu'il détenait, agissait à la périphérie de Constantine notamment à Djebel Ouahch, Bekira, Aïn El Bey… en assassinant également des policiers et des militaires et en posant des engins explosifs qui semaient la terreur et la psychose chez les habitants de la ville.

En 1994, un terroriste de son groupe, ignorant tout de cette manipulation, qui devait faire exploser une bombe à Bekira, commis une maladresse et sauta avec son engin. Bien qu'ayant perdu la jambe, il révélera aux services de sécurité que leur "émir" était un certain "Omar" de la SM.

Paniqués par cette tournure inattendue, et par le fait que l'implication de la SM allait être dévoilée, les responsables de la DCE  prisent la décision d'éliminer l'adjudant Omar pour donner une version "acceptable" par les autres services de sécurité (Police et gendarmerie nationale) et faire croire que ce sous-officier était effectivement un terroriste qui agissait pour le compte des intégristes islamiques.
Le soir de cet événement, vers 20 heures, l'adjudant Harkati Seghir qui dépendait du colonel Kamel Hamoud et deux de ses collègues allèrent à bord d'une Renault 4 chercher Omar à son domicile sis à la cité Boussouf, lui expliquant que le chef du CRI de Constantine avait "besoin de lui pour un travail urgent". Sans l'ombre d'un soupçon, l'adjudant Omar accompagna ses collègues au siège du CRI: il y fut liquidé de sang-froid pour accréditer la thèse de son appartenance à un groupe armé et pour qu'il ne dénonce jamais les commanditaires de cette opération. A sa famille, qui n'a pu voir le corps, les responsables de la DCE avaient déclaré que l'adjudant Omar a été abattu par des islamistes lors d'une opération de ratissage.

Je peux témoigner que l'adjudant Omar n'a jamais été un islamiste. Pourquoi l'a-t-on assassiné dans les locaux du CRI sans le présenter à la justice ? Hélas cela n'est qu'un des innombrables forfaits commis par les chefs du DRS.

 

La création des GIA

Parallèlement à la "résurrection" du MIA (En réalité le mouvement islamique armé n'a été reconstitué que pour insuffler le caractère violent à la révolte, et jusqu'à juillet 1992, le MIA en tant qu'organisation "armée" n'avait à son actif que peu d'actions) par le quatuor Abdelkader Chebouti, Mansouri Meliani, Saïd Makhloufi (qui créera peu de temps après avec les frères Omar et Abdenacer Eulmi le MEI, Mouvement pour l'édification de l'État islamique) *(Tout comme le MIA, le MEI fondé pourtant par des islamistes sincères en janvier 1992, a été inspiré par le commandant Amar Guettouchi, chef du CPO, grâce à  certains agents qui gravitaient autour des dirigeants du SIT pour les inciter à passer à l'action armée ; dans la foulée le MEI qui a mobilisé de nombreux militants convaincus du SIT a fini par entreprendre de nombreuses actions qu'il a pratiquement toujours revendiqué) et Baa Azzedine, le colonel Smaïn, déçu par le comportement de "la bande des quatre" qui n'arrivaient pas à parvenir à un consensus sur le déclenchement des opérations armées et constatant l'inefficacité du MIA à déclencher les "hostilités" qui auraient servi de prétexte pour justifier la dissolution du FIS, opta  donc pour la nouvelle formule: ce seront les "délinquants du FIS" pour la plupart manipulés par les services qui agiront et qui vont déborder les " historiques " et s'emparer de la "révolution islamique".

Ainsi, le DCE mettra donc sur pied, à partir de janvier 1992, des groupes armés "autonomes" à Dergana et à Herraga, à la périphérie est d'Alger. La logistique (caches, ravitaillement, équipement en moyens de transmission…) sera assurée par l'ex-adjudant Abdallah Kaci, dit Chakib.

Cet ancien sous-officier des services opérationnels de la SM avait été radié en 1980 lors de la fameuse "affaire de Gafsa": lorsque le complot fut déjoué, pour éviter que la SM de l'époque soit impliquée, quelques sous-officiers avaient été sacrifiés, dont Chakib, qui fut proche du FFS ; il fut recyclé dans le monde des affaires et, à partir de 1991, il jouait le rôle d'intermédiaire entre Smaïn Lamari et les "correspondants" français recommandés par la DST et ses amis, intéressés par les marchés en Algérie.
Sa luxueuse villa située près de Reghaïa, dans la grande banlieue d'Alger, qui offrait toutes les commodités de discrétion, servait de refuge et fut utilisée pour de nombreuses couvertures, y compris (j'y reviendrai) pour des contacts secrets avec des avocats qui défendaient les islamistes et qui fournissaient au DRS des renseignements sur leurs clients.

Le propre fils de Chakib était un sous-lieutenant de la DCE qui me fut affecté à Châteauneuf en Avril 1992 dans la cellule de renseignement de l'ONRB (Office national de répression du banditisme).

Fin mai 1992, alors que nous étions en train de "peaufiner" les listes des futurs membres du CCN (conseil consultatif national qui allait servir de Parlement à partir du 22 juin 1992), le colonel Smaïn m'appela et me chargea de remettre une mallette à Kaci Abdallah alias Chakib. En échange je devais recevoir un dossier dont j'ignorais  la teneur. Smaïn me dit seulement : "Va le voir, il t'expliquera." Je fus accueilli au seuil de sa superbe villa par Chakib, que je ne connaissais pas auparavant. De taille inférieure à la moyenne, sans embonpoint, il transpirait à la fois la ruse et l'intrigue. Ce jour-là, j'ai appris que Chakib servait d'agent recruteur pour le compte du DCE, puisque je fus mis en présence d'un avocat (la trentaine, cheveux châtains, dont j'ai hélas oublié le nom) qui défendait les islamistes mais qui en réalité soutirait des informations à ses clients pour les communiquer à la SM.

Une fois les présentations terminées, j'ai accompagné cet avocat à son cabinet à Aïn Taya pour qu'il me remette des dossiers. Je n'ai eu que deux contacts avec lui, puisque dès la mi-Juin je suis parti en mission à l'étranger (et qu'à mon retour, après l'assassinat de Boudiaf, j'ai refusé de poursuivre ma mission à Châteauneuf, mais je savais que les dossiers qu'il me donnait servaient à accumuler des preuves contre les islamistes incarcérés pour leur faire du chantage. Ils avaient le choix entre deux solutions: les poursuites judiciaires ou la coopération avec les services. Une fois le pas franchi, tout devient possible ; en clair, ils devenaient des objets entre les mains criminelles des généraux sanguinaires comme Smaïn Lamari, lequel selon ses propres propos "n'hésiterait pas à éliminer trois millions d'Algériens pour maintenir l'ordre" *(En effet  en mai 1992, lors  de l'une des réunions tenues à Châteauneuf en présence de nombreux officiers de la DCE et des responsables due l'ONRB, le colonel Smaïn Lamari avait affirmé cyniquement (et j'étais témoin): qu'il était prêt et décidé à éliminer trois millions d'Algériens s'il le fallait pour maintenir l'ordre que les islamistes menaçait).

Les premières cellules du GIA furent créées justement dès avril-mai  1992 avec des jeunes sympathisants de la secte d'El Hidjra oua Takfir de Dergana, Heroua, Bordj El Kiffan, Benzerga, Bentalha, la cité Faizi. Des cellules analogues furent créées à Larbaa (avec les éléments virulents de Meftah, Baraki, Sidi Moussa, Les Eucalyptus), à Blida (avec des islamistes recrutés à La Soumaa, Ouled Yaich, Boufarik, Oued El Allaigue et la localité où se trouve l'université), à Médéa, et à Chlef pour ce qui est des régions du centre.  Les cadres de la SM du CPO Antar et du CRI de Blida ont considérablement contribué, parfois maladroitement il faut l'avouer, compte tenu de la précipitation et du double jeu des "recrues" islamistes, pour la plupart issus des milieux défavorisés, endoctrinés et aisément manipulables.

Durant cette période de mai – juin  1992, l'agent Khaled Bouchemal, cet ex-élu du FIS dont j'ai déjà eu l'occasion de parler (voir supra, chapitre 3), manipulé par le lieutenant Idir, *(Qui sera promu en novembre de la même année au grade de capitaine) reçût une importante somme d'argent en devises pour passer des "vacances" en Tunisie *(Ce voyage a été une simulation pour justifier le lot de matériel radio et les manuels de guérilla en faisant croire qu'il les a ramenés de Tunis) L'objectif qui lui avait été assigné consistait, de par sa fonction de maire (il ne fut destitué qu'après le 22 juin 1992), à mettre les moyens de sa commune au service des "extrémistes", du SIT (Syndicat islamique du travail, proche du FIS qui venait d'être interdit deux ou trois mois auparavant) qui se trouvaient en  clandestinité, puis à sa destitution, il a joué le rôle de "couroi de transmission" entre le nouveau DEC (délégué exécutif communal) imposé par la SM et les groupes "terroristes".

Des explosifs avaient été dérobés à la carrière Jaubert (située entre Bologhine et Rais Hamidou) au printemps 1992 furent dissimulés dans une villa à Bouzareah qui servait de lieu de réunion pour les candidats au djihad.

Lorsque vers fin mai 1992, j'ai eu vent de cette opération par le lieutenant Idir, qui était bien entendu un officier de recherche faisant partie de mes  services, j'ai pris la décision de me dessaisir  de cette affaire et de me désolidariser du chef de la DCE.
En effet je me suis retiré au PCO de Châteauneuf pour me consacrer au travail d'exploitation. Durant ma "vacance" car j'ai du aussi partir une quinzaine de jours (du 11 au 27 juin 1992)  en mission au Pakistan, Le CPO était directement dirigé par le colonel Smaïn Lamari (le commandant Guettouchi venait de décéder en mai 1992. Normalement c'est soit le commandant Boukachabia Achour, soit moi, qui étions à la DCE les plus gradés après Smaïn Lamari, mais ni l'un ni l'autre n'avions été choisis pour assurer l'intérim du CPO, car tous deux étions des légalistes qui auraient refusé de participer à cette opération insensée et dangereuse pour le devenir du pays. C'est donc le colonel Smaïn en personne qui dirigera le CPO jusqu'à la désignation du colonel Farid Ghobrini. Le lieutenant Idir a été placé directement sous l'autorité du DCE.   

Voilà pourquoi n'étant pas impliqué directement dans cette opération et ne possédant pas tous les détails sur celle ci, je ne peux que supposer que ces explosifs devraient certainement servir à la fabrication de bombes artisanales le moment opportun.

Toujours muni d'un mini-magnétophone de poche quand il assistait à ces réunions, Bouchemal nous remettait tous les enregistrements, de manière à pouvoir opérer sélectivement *(Soit neutraliser les éléments dangereux du groupe, soit procéder à des arrestations sélectives, soit tenter d'approcher les nouveaux membres du groupe …etc.) après exploitation des cassettes. Grâce à cet apport, le premier groupe extrémiste "made in Antar" fut noyauté à Bainem, un quartier à la limite ouest d'Alger. La manipulation de ces groupuscules s'effectuait à partir  des centres Ghermoul et Antar.

D'autres cellules (ou katibate, selon la terminologie de l'époque) avaient également vu le jour à l'est et l'ouest du pays, car une sorte de "folie" s'était emparé des chefs du CRI (Djebbar à Blida, Waheb à Oran et Farid à Constantine) qui jouaient à "qui plairait le plus au chef".
Personnellement bien que m'étant montré sceptique quant aux résultats de ce type d'opérations, j'étais convaincu que ce travail d'infiltration des réseaux terroristes était destiné à prévenir les attentats voire à les déjouer, qu'il servait à remonter les réseaux logistiques et les réseaux dormants, voire à identifier les soutiens extérieurs qui les financent. Mais les responsables du DRS sont allés bien loin et compte tenu de mon caractère légaliste, j'étais systématiquement écarté des centres de décision dès qu'une opération "louche" était initiée.

Je n'ai pris conscience de l'irresponsabilité de Smaïn Lamari que le jour où j'appris que certains chefs du futur GIA, que l'on appelait invariablement les Djamaates "groupes islamiques" ou "groupes armés" étaient plus ou moins en relation avec les services  du DRS. Le cas de Allal Mohamed, plus connu sous le sobriquet Moh Leveilley m'a fait prendre conscience du danger dans lequel les généraux voulaient nous entraîner.

 

Le premier chef du GIA: Allel Mohamed, dit Moh Leveilley

À partir de février 1992, la presse algérienne évoqua souvent le nom de Moh Leveilley, présenté comme l'un des terroristes islamistes les plus dangereux: c'est à son groupe que fut notamment attribuée la tuerie de la rue Bouzrina (voir chapitre précédent) et, à partir de l'été 1992, il sera régulièrement présenté comme l'un des "émirs" du "Groupe islamiste armé" (GIA), dont on commençait à parler. J'ai personnellement connu cet individu éminemment suspect, très lié à la SM, qui sera abattu par les forces de sécurité à Tamezguida en août 1992.

Quand j'ai pris mes fonctions à la tête du SRA, en mars 1990, parmi les problèmes que je rencontrais au quotidien, il y avait celui des voitures: sur la vingtaine dont disposait le service, la moitié était en permanence à l'arrêt, faute de pièces de rechange. Comme je ne disposais ni d'un atelier de réparation ni de moyens financiers conséquents, j'avais demandé à mon chauffeur Khaled de nous trouver un mécanicien de sa connaissance pour régler définitivement ce problème, quitte à le payer en bons d'essence au cas où il ne serait pas possible de le faire en monnaie sonnante et trébuchante.

Je lui demandais aussi comment ils faisaient auparavant pour résoudre ce problème. L'adjudant Khaled me révéla qu'ils avaient l'habitude de faire réparer les véhicules chez un mécanicien à Hussein Dey, mais que celui-ci refusait dorénavant de travailler avec nous car il n'avait pas reçu ses honoraires de la part de mon prédécesseur, le commandant El Hadj Larbaa. Sur le coup de la colère, je demandais au capitaine Farouk Chetibi, qui était en relation avec ce mécanicien, de me l'amener pour discuter avec lui et trouver un moyen de le régulariser.

Le mécanicien de Hussein Dey qui se présenta devant moi en ce mois torride d'été 1990, s'appelait Mohamed Allel, la trentaine athlétique, une barbe naissante. Il m'expliqua poliment qu'il ne souhaitait plus réparer nos véhicules car nous étions de… mauvais payeurs ! Ajoutant qu'il le ferait volontiers pour nos véhicules particuliers (il donnait l'impression de connaître beaucoup d'officiers de la SM), mais pas pour ceux du service tant que le contentieux de 8 000 DA ne lui serait pas réglé.

N'ayant pas trouvé le moyen de parvenir à un arrangement. J'ai laissé tombé cette affaire, surtout qu'un de ses parents (cousin je crois) faisait partie de nos service, il était à la caserne de la SM de Hussein Dey, puis avec la création du DRS, les personnels de cette caserne ont été transférés à Ben Aknoun, au CPMI.

A l'automne 1991, j'ai appris que Mohamed Allel, connu à Hussein Dey sous le sobriquet  de Moh Leveilley (qui était l'ancien nom de Makaria d'où il était originaire) avait basculé dans le banditisme en écumant la zone allant de Oued Ouchayeh à Dar El Beida. C'est chez un complice habitant à Bourouba qu'il se réunissait avec des islamistes et faisait du prosélytisme dans les mosquées de Baraki, Eucalyptus et Cherarba.

D'après nos sources, Moh Leveilley avait à son actif l'attaque du PMU du Caroubier et le casse en plein jour de la CNEP (Caisse nationale d'épargne et de prévoyance) de Chéraga de 1991. Deux hold-up qui présageaient des intentions des groupes armés qui avaient besoin d'argent pour se procurer des planques et de l'armement. L'achat d'appartements dans plusieurs quartiers de la capitale était le souci permanent de cette nouvelle vague de "moudjahidine" qui n'hésitait pas à voler ou tuer au nom de l'Islam. Une simple fetwa d'un imam illuminé (généralement autoproclamé) rendait licite n'importe quelle action.

La facilité avec laquelle ces braquages ont été commis et la fuite en moto des auteurs qui agissaient sans complicités internes  étaient perçues comme une détermination de la part de ces "criminels", puisque les services de police, incapables de dire s'il s'agissait d'un groupe islamique ou de simple banditisme, avaient identifié l'auteur sans pouvoir le repérer ou le localiser.

Dès cette époque, le service de recherche que je dirigeais l'avait localisé, dans un logement à Kouba qui lui servait de cache. Nous avions transmis ces informations sûres à la police et la gendarmerie pour qu'elles procèdent à son arrestation. Mais curieusement, il n'a pas été inquiété.

Cette situation est devenue encore plus intrigante quand nous avons appris, en février 1992, que Mohamed Allel, bien que très limité dans le domaine religieux, avait réussi depuis l'automne 1991 à se faire admettre au sein de la mouvance islamique comme émir au niveau des localités de Hussein Dey, La Montagne, Oued Ouchayeh…

En un temps record il semblait être devenu incontournable au sein de la mouvance islamiste radicale, à telle enseigne qu'il prit part à une réunion des chefs islamistes qui s'est tenue en janvier 1992 dans les montagnes de Zbarbar: cette réunion regroupait les radicaux qui prônaient la lutte armée comme riposte à l'interruption du processus électoral, notamment les chefs du MIA et les salafistes. Comme de coutume, les agents du DRS étaient présents et comme à l'accoutumée  aucun consensus ne fut trouvé. Nous avons appris que Saïd Makhloufi, chargé de la coordination de la lutte armée, estimait que ses troupes n'étaient pas prêtes à affronter l'ANP et souhaitait une sensibilisation, voire une approche des troupes de l'ANP. Il voulait commencer la lutte armée que lorsqu'il aura la certitude que les militaires se rebellent contre les chefs de l'ANP et qu'il soit sur qu'ils n'exécuteraient pas les ordres des généraux. Abdelkader Chebouti fut désigné "émir national", mais il était encore hésitant car il souhaitait engager une action nationale et pas simplement des actions sporadiques à Alger, Blida, Médéa.

Face à ces tergiversations, Moh Leveilley, avec moins d'aura, peu de moyens matériels et humains déclenchait les "hostilités" à Alger même. L'action de la rue Bouzrina, puis celle de l'amirauté des 10 et 13 février ont été mises  à son actif. Meilleurs soutiens se trouvaient à Belcourt, Hussein Dey, Kouba et à La Casbah, parmi lesquels il pouvait compter sur les islamistes évadés du tribunal de Blida, que j'ai déjà évoquée. Cette "évasion" avait été facilitée *(Je ne l'ai su que plus tard par un officier de la DCSA, qui me dit en 1994 que cette évasion a été organisée en 1991 par le DRS avec la complicité d'un sous officier en poste auprès du tribunal de Blida) Parmi les évadés, figurait notamment Sedikki Nouredine, un homme jugé extrêmement dangereux, appartenant à la secte d'El Hidjra oua Takfir qui agissait à Belcourt. 

Sedikki avait pris part au vol d'explosifs de Texanna (wilaya de Jijel), en 1987. Ce que j'ignore, c'est si l'évasion avait été favorisée par le DRS dans le but de poursuivre l'enquête, en "pistant" les évadés, afin de localiser la cache ou étaient entreposés les explosifs dérobés à Jijel ; ou si elle servait les desseins des généraux, qui avaient décidé délibérément de "lâcher dans la nature" de dangereux terroristes afin d'entraîner d'autres islamistes dans la spirale de violence qui servirait de justification a posteriori à l'arrêt du processus électoral.

Sedikki Nouredine sera de nouveau arrêté en avril 1992, près de la pêcherie d'Alger par un agent de l'ordre public qui l'avait reconnu. Ramené à Châteauneuf pour les besoins de l'interrogatoire, il réussira une nouvelle fois à fausser compagnie à ses anges gardiens. Comment se fait-il qu'un redoutable terroriste, puisse s'évader des griffes des gendarmes et des policiers ? Sans complicités solides il est impossible de pouvoir même rêver à une évasion. Demandez à ceux qui ont été arrêtés et qui ont eu la chance d'être libérés après avoir purgé leur peine ?

En revanche, ce qui me paraît certain, à travers les faits précis auxquels j'ai pu rendre compte (sa non arrestation à l'automne 1991, son ascension fulgurante alors qu'il n'avait aucune prédisposition pour être un islamiste, ses antécédents avec la SM, la réunion de Smaïn Lamari le matin de l'attaque de la rue Bouzrina (qui est sans nul doute une opération du DRS), l'appel téléphonique de la mère de l'un des "terroristes",…) me posent à déduire que Moh Leveilley ne peut être qu'un agent des services, "fabriqué" pour en faire un épouvantail islamiste et pour lui attribuer certains attentats destinés à frapper l'imaginaire des citoyens.

 

L'affaire de Telemly et la mort du commandant Guettouchi

Les agissements de Mohamed Allel, dit Moh Leveilley, étaient devenus notoire, la presse ne cessait de faire l'apologie de ses exploits (Assassinat par ci, embuscade par là contre des policiers, des gendarmes ou des militaires notamment les jeunes appelés des quartiers des Eucalyptus, Larbaa, Meftah,.. qui effectuaient le service national). Il était devenu un héros pour les jeunes qui prenaient le chemin des maquis.

Son adjoint, un certain Abdelhak Layada, tôlier à Baraki, allait lui succéder en tant qu'émir, peu de temps après. Au mois d'avril 1992, quoique traqué par la gendarmerie à son domicile à Baraki, Layada réussit à s'échapper en prenant une femme en otage et ce, malgré plusieurs échanges de tirs. Au cours de cette opération, le capitaine Atoui, de la gendarmerie, fut blessé. Peu après, au siège du commandant de groupement de la gendarmerie à Alger à Birmandreis, en présence de son chef, le commandant Abdelaziz Chater, il me racontera qu'il ne comprenait pas comment Layada avait pu quitter la zone alors que des barrages des unités de l'ANP contrôlaient tous les carrefours limitrophes. Il me répétait sans cesse que, sans une complicité de la part des membres de ces unités, il aurait été impossible à Abdelhak Layada de s'échapper.

Abdelhak Layada reste pour moi une énigme, cet émir du GIA, lui aussi sans connaissances religieuses, a pu s'imposer dès aout 1992 à la mort de Allal Mohamed comme un "émir incontesté ou  émir national" des groupes armés. Ce qui est étrange aussi c'est que lors de son arrestation au Maroc en 1993, le général Smaïn d'abord, puis le général Khaled Nezzar, alors ministre de la Défense nationale et membre influent du HCE, s'est rendu à Rabat pour demander personnellement au roi Hassan II son extradition.

En quoi un tôlier, autoproclamé émir national, peut il être plus important que Rabah Kébir, Anouar Haddam, Abdallah Anés, Kameredine Kherbane ou Ahmed Zaoui.
Lors du carnage de la prison de Serkadji, l'intervention des troupes de la gendarmerie et des unités du DRS avaient causé la mort de plus d'une centaine de prisonniers. La mutinerie a été maté dans le sang, mais curieusement le sous-lieutenant Boumaarafi Lembarek (le meurtrier du Président Mohamed Boudiaf) et Abdelhak Layada seront parmi ceux qui furent épargnés par ce massacre.
Dans de nombreux faux communiqués attribués aux islamistes, mais qui en réalité étaient confectionnés dans les locaux du DRS, figuraient des revendications souvent la libération de "l'émir" Layada Abdelhak. A ma connaissance, il n'y a jamais eu un communiqué  islamiste "exigeant la libération de Ali Benhadj ou Abbassi Madani, qui sont pourtant les chefs incontestés du FIS, principal parti lésé par l'interruption du processus électoral.

 

Etrange !

Tout comme pour Layada en avril 1992, qui échappa au capitaine Atoui de la gendarmerie, La même situation étrange se répétera quelques semaines plus tard, le 4 mai 1992, lors d'une opération menée au Telemly, un quartier d'Alger situé sur les hauteurs d'Alger, contre Abdelkrim Bentebiche, un des lieutenants de Moh Leveilley, et deux de ses compagnons: ceux-ci purent "filer à l'anglaise", malgré un imposant dispositif (ninjas de la police, GIS, groupes d'intervention de la gendarmerie). Cette affaire du Telemly mérite d'être contée, car elle s'est soldée par la mort du commandant Amar Guettouchi, le chef du centre Antar (CPO) avec qui je collaborais régulièrement à l'époque, et dont j'ai déjà raconté le rôle essentiel qu'il avait joué dès 1991, sur les instructions de Smaïn Lamari, dans la création des premiers groupes islamistes armés "made in DRS".

Le 4 mai 1992, une information de première main nous parvint vers 8 heures du matin: le groupe de Bentebiche avait été localisé dans une villa au Telemly. L'utilisation de ce genre de renseignement, avant de passer à l'action et de donner l'assaut, nécessite une étude opérationnelle approfondie. Or, ce jour-là, je devais impérativement participer, toute la journée, à une réunion à la wilaya d'Alger, où l'on devait élargir des individus déportés dans les camps du sud, à qui il n'était rien reproché.

À cette réunion, présidée par Abderrahmane Meziane Cherif, wali d'Alger, participaient également un représentant de la DGSN, un de la Gendarmerie nationale et un de l'Observatoire national des droits de l'homme (ONDH, une structure créée en février 1992 pour donner une couverture "démocratique" à la répression menée contre les islamistes).

Vers 17 heures, fatigué par cette journée marathon, j'ai fait un crochet par Châteauneuf pour m'enquérir de la situation avant de rentrer chez moi. À mon arrivée, le groupe d'intervention était sur le pied de guerre, prêt à passer à l'action. Pendant mon absence, le commandant Guettouchi avait tout préparé ; il voulait sans doute démontrer à ses supérieurs qu'il méritait le poste de Genève que lui avait promis le général Toufik.

Je croisai Amar Guettouchi alors qu'il montait dans sa Volvo grise. Il me dit gentiment: "Alors tu viens, Lahbib ?" "Non, je suis fatigué", répondis-je, alors qu'en fait je pensais à la précipitation avec laquelle cette opération avait été préparée. Ce furent mes dernières paroles échangées avec le commandant Amar. Le lendemain, mon chauffeur m'apprit qu'il avait été blessé à la cuisse au cours de cette opération et transféré en France.

Le commandant Amar avait indiqué correctement la "cible" (la villa ou se terraient Bentebiche et deux de ses acolytes), mais en arrivant sur les lieux, le commissaire de police Mohamed Ouadah, il était avec Mohamed Issouli, l'un des adjoint du commissaire Kraa Tahar à l'ONRB, fit une méprise: ce fut une villa voisine qui fut prise d'assaut. Le boucan et la confusion ainsi créés permirent à Bentebiche et à ses deux acolytes de prendre la fuite. Non sans que cette bourde incroyable coûte la vie à deux officiers, le sous-lieutenant Tarek du GIS et le commandant Guettouchi de la DCE.

Le sous-lieutenant Tarik paya en effet de sa vie son héroïsme: il fut le seul à pénétrer à l'intérieur de la villa véritablement ciblée et fut immédiatement fauché par une rafale tirée par Bentebiche. Ce dernier, pourtant blessé, s'empara de l'arme et de la radio de l'officier, qui gisait dans une mare de sang. Dans leur course, les trois fuyards rencontrèrent, à deux cents mètres du lieu du drame, le commandant Amar et le commissaire Mohamed Ouadah. Des coups de feu furent tirés et le commandant Guettouchi reçut une balle dans la jambe.

Qui a tiré sur lui ? Nul ne le saura jamais. Des officiers du GIS présents sur les lieux m'affirmeront que le commissaire Ouadah aurait paniqué à la vue des terroristes et qu'il aurait accidentellement blessé le commandant Guettouchi. Cette version me paraît la plus proche de la réalité: les terroristes étaient en effet armés de Kalachnikovs et ils auraient fait un carton s'ils avaient tiré, ce qui, d'après les témoins, ne fut pas le cas.

Le lendemain de la tragédie, j'ai rencontré Ouadah: il était dans un état de choc total, le visage blême, il ne pouvait aligner deux phrases correctement. Il fut ensuite mis sur la touche par le colonel Smaïn Lamari et ne réapparaîtra que deux ans plus tard, pour être nommé… directeur général de la police nationale ; une très belle promotion pour un chef de sûreté de wilaya ; du jamais vu dans les annales de la police nationale.

Blessé et saignant abondamment, le commandant Guettouchi ne fut évacué vers l'hôpital militaire d'Aïn-Naadja que plus de quarante-cinq minutes après l'incident, les secours n'ayant pas été diligents. Le temps qu'il se soit vidé de son sang, alors que le centre hospitalier universitaire de Mustapha n'est qu'à une dizaine de minutes du lieu de l'opération. Transféré par avion spécial en France le soir du drame, il devait mourir durant le trajet. Les responsables du DRS attribueront sa mort à son diabète ; l'ayant côtoyé depuis le milieu des années 1980 jusqu'à son dernier jour, je suis en mesure d'affirmer qu'il n'a jamais eu à souffrir de cette maladie. Son dossier médical peut certainement en attester.

Le commandant Guettouchi devait être affecté à Genève en tant que chef du bureau de sécurité, à partir de juillet 1992, en remplacement du commandant Hamidou, et il commençait à prendre ses distances par rapport au DCE.

A-t-il été volontairement éliminé? Tout indique que le commandant Amar Guettouchi a été volontairement liquidé par son chef Smaïn Lamari. L'erreur de la cible, la récompense du commissaire Ouadah, l'histoire du diabète,…me confortent dans l'idée que le chef du CPO ait été éliminé dans une mise en scène sophistiquée par Smaïn Lamari, car le commandant Amar avait joué un rôle essentiel dans la mise en place de la "stratégie de la terreur" et qui commençait sans doute à s'en dissocier. Même si la presse et certains responsables avancent l'idée que Bentebiche  soit le "lieutenant" de Moh Leveilley, je suis formel: ce dernier n'a jamais été un agent de la SM, autrement le commandant Guettouchi, le créateur des premiers GIA n'aurait jamais dirigé une opération contre sa propre "créature".

Il a en tout cas emporté dans la tombe beaucoup de secrets sur la résurrection du MIA, la création des groupes islamistes de l'armée et les coups tordus qu'il a exécutés pour le compte du duo Toufik/Smaïn. Il servait hélas de "fusible" pour Smaïn Lamari, tout comme Tartag assumait alors les vilains coups de Kamel Abderrahmane, mais le colonel Tartag, lui, une sorte de Mengele à l'algérienne dont j'aurai l'occasion de reparler, saura échapper aux mauvais coups liés à son "sale boulot", il restera en fonction jusqu'en mars 2001, et il est toujours vivant à ce jour promu au grade de général et assurant les fonctions de conseiller spéciale du DRS ; le général Toufik.

Quelques jours après l'affaire du Telemly, comme pour se "couvrir", Smaïn Lamari commandita une nouvelle opération, dont la sauvagerie ne pourrait être interprétée par la plupart d'entre nous, ignorants des dessous probables de l'élimination de Guettouchi, que comme une vengeance légitime contre les islamistes. Il décida de "faire un carton" dans une villa de Belcourt qui aurait servi de cache à des intégristes, sensée appartenir au DGSN M'hamed Tolba.
C'est également cette curieuse affaire, où le colonel Smaïn en personne, dirigeait l'opération ; la première et surement la dernière à laquelle il a participé. De plus les présumés islamistes n'étaient pas armés, leurs captures auraient été facile par les éléments du GIS, et le lieu où cette opération s'est déroulée, comment se fait il que de "dangereux islamistes" puissent se réfugier dans une villa du policier n°1 de l'Algérie. En plus la presse n'a pas du tout évoqué cette affaire.

Voilà pourquoi je pense davantage à une affaire montée de la part du DCE qui a du regrouper quelques agents dans la villa du DGSN pour pouvoir les massacrer et faire croire qu'il a vengé son officier, écartant tous les soupçons sur lui, c'est ce qui explique aussi pourquoi il n'a laissé aucun survivant. Même ceux qui cherchaient à se rendre furent abattus de sang-froid, comme des chiens.

 

Le double langage des "décideurs"

L'histoire de la création du GIA par les services secrets ressemble à celle du "Docteur Djekyll et Mister Hyde": à un moment donné, pratiquement dès 1992, le processus de manipulation ne fut plus maitrisé.

De nombreux agents retournés s'étaient "volatilisés" dans les maquis, certains jouaient le double jeu, A cause du cloisonnement les agents du CPMI et ceux du CPO se faisaient la "guerre".
Etant responsable de la cellule de renseignement du PCO j'ai pu constater après des arrestations effectuées par la police, les unités de l'armée ou de la gendarmerie les interventions du colonel Kamel Abderahmane, de Amar ou de Tartag, me demander de relâcher tel ou tel, car il "travaillait" avec eux. C'est dans cette cacophonie que la lutte contre les "intégristes" a été engagée.

Cela fut aussi le résultat du manque de coordination, dans ce plan diabolique, entre les structures du DRS et les autres institutions de l'État.
Un exemple vécu: en juin 1992, j'ai été envoyé au Pakistan pour donner de nouvelles instructions à nos "taupes" se trouvant dans les camps de Peshawar et pour localiser deux hommes, Boudjemaa Bounoua, dit "Abdallah Anés", et Kameredine Kherbane, considérés par le DRS comme de "dangereux terroristes". Mes services les pistaient, car ils avaient reçu des visas du service consulaire auprès de l'ambassade d'Algérie au Pakistan, leur permettant de se déplacer sans être inquiétés.

Lors de ce voyage, j'ai appris avec surprise d'Amimour Mahiedine, l'ambassadeur d'Algérie à Islamabad (qui ignorait évidemment la nature de ma mission), que l'ambassadeur de France lui avait demandé son avis pour la délivrance de visas d'entrée en France à ces deux hommes, inconnus de notre représentant alors qu'il s'agissait justement de ceux que j'étais venu localiser !

Moralité: l'ambassadeur français était mieux informé que le notre. De plus, lors de mon séjour d'une quinzaine de jours, j'ai pu constater que jamais un ambassadeur ou un quelconque représentant de notre ambassade n'avait mis les pieds à Peshawar (Ville distante d'une centaine de kilomètres de la capitale, Islamabad), alors que les "moudjahidine" algériens s'y trouvaient par centaines depuis le début des années 1980. Voilà comment la lutte anti-intégriste était menée à l'étranger…

Un autre exemple de manipulation et du double langage des sorciers du DRS mérite d'être dénoncé: dès le mois de janvier 1992, les "décideurs" ont accusé l'Iran de financer et de soutenir les islamistes algériens et ils n'ont pas hésité à rompre les relations diplomatiques avec ce pays. Le personnel diplomatique algérien a été rappelé à Alger, mais le commandant Mejdoub, qui était en poste à Téhéran, est resté en place en tant que conseiller ou chargé d'affaire. Il a été maintenu "discrètement" pour entretenir les réseaux islamistes *(Il s'agit des agents algériens, établis en Iran et qui faisaient du commerce (cuir, textile, tapis, pistaches) et qui communiquaient des informations et qui entretenaient des rapports discrets avec les dirigeants de ce pays) qui sillonnaient le Soudan, le Yémen, le Pakistan, l'Arabie Saoudite… Cette stratégie obéissait à la politique du "au cas où…" *(contrairement aux apparences les ponts n'ont jamais été coupés avec les pays comme l'Iran ou le Soudan, qui furent pourtant accusés en 1992 de…soutenir le terrorisme en Algérie". Et même s'il y a eu la rupture des relations diplomatiques officielles, la "diplomatie parallèle", a par contre était toujours maintenue.
Un discours démagogique pour satisfaire les démocrates et le CNSA et un discours "pragmatique" pour la poursuite des affaires des barons du régime mafieux).