L'Opération "Virus"
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Après l'affaire Boudiaf, l'affaire Matoub et l'affaire des généraux, nous allons au cours de l'affaire qui nous préoccupe, entraîner l'opinion au cour du système et de ses réseaux d'influences, qui depuis l'indépendance ont entrepris de mettre le pays en coupe réglée, une conclusion s'impose. Pendant vingt ans, des dispositifs éprouvés sont mis en place, des infrastructures soigneusement testées sont implantées. Actuellement ces réseaux d'influences, partagent la rente pétrolière et les richesses du pays, alors que quatre-vingt-quinze pour-cent de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Les assassinats politiques, la richesse très apparente des commandeurs et les affaires de corruption étouffées sur ordre et jamais élucidées, sont la preuve qu'il existe dans notre pays, une Algérie parallèle, avec ses structures, son appareil logistique, ses énormes moyens financiers et ses troupes de chocs, une armée du crime convertible à tout instant en armée de guerre civile si «l'ordre social » venait à être menacé. La nomination de Bouteflika à la tête de l'Etat, ne changera rien. L'escadron de la mort Avant d'en venir à l'affaire proprement dite, il faut avant toute chose mettre un peu de lumière sur l'engin de la mort le plus atroce et le plus impitoyable que l'Algérie ait connu durant toute son histoire : l'escadron de la mort. Cette unité spéciale est sans nulle doute la plus secrète de toute l'armée algérienne. Officiellement, elle n'existe même pas et administrativement, elle est couverte par le secret défense. Tous les ordres sont donnés verbalement et les comptes rendus se font de la même sorte. Il est formellement interdit d'écrire quoi que ce soit touchant de près ou de loin à cette unité et à ses éléments. Créée sur demande du général Larbi Belkheir par les généraux Mohamed Lamine Mediene et Smain Lamari et placée sous leurs autorités, elle regroupe des éléments triés sur le volet par cooptation dans les différents corps sécuritaires du pays. Pour des missions pointues, Smain Lamari associe même des mercenaires professionnels à l'équipe 192 ; le but est la perfection des performances opérationnelles du groupe sur le terrain. Les mercenaires sont recrutés par Smain Lamari en personne, leur mission est: enseigner à l'équipe 192 comment tuer vite et bien, stage pratique sur le terrain garanti *. Une des premières missions de cette unité est la liquidation d'un nombre impressionnant d'officiers de l'armée, hostiles à l'arrêt du processus électoral. Beaucoup se sont demandés comment cela se fait-il que Belkhier ait accepté le poste de ministre de l'intérieur alors qu'il était chef de cabinet du président ? En fait, il voulait personnellement mettre sur rails la grande machine de répression tout en réorganisant le champ politique pour faire marcher au pas toute la société algérienne ; rien ne devait perturber ses plans ; son but était et reste claire : vendre l'Algérie morceau par morceau. L'unité en question est le bras séculier du régime et l'ultime remède aux récalcitrants. Elle a à son actif des
centaines de victimes et d'exécutions (souvent parmi les disparus). Et notamment l'organisation des massacres de prisonniers à
Serkadji et Berouaguia. Plus encore, leur autorité dépasse de loin celle d'un bon nombre d'officiers supérieurs responsables au sein de l'ANP. A titre d'exemple, un simple adjudant-chef (en 1990), prénommé Hocine est aujourd'hui commandant. C'est bien grâce à cette unité que le cours du conflit a changé. Fort de la «foi éradicatrice», la machine de la l'horreur a réussi à supplanter tous les prédicateurs de la scène algérienne en introduisant une nouvelle tactique : celle de la surenchère de la violence dès le début de l'année 1994 ; le seul produit qu'elle génère c'est la mort. Une des mystifications opérées par cette unité, est l'infiltration des maquis du GIA dans la région de Ain Defla et Médéa, le déclenchement de la guerre entre les maquis et la décapitation de la direction clandestine du FIS avec l'assassinat de Mohamed Said et Abderezak Radjem en 1995.
«L'homme le mieux informé en Algérie» ; c'est ainsi qu'on le nommait et il l'était assurément. Après la liquidation de Boudiaf, Kasdi Merbah est convaincu qu'il est sur la liste des personnes à abattre. Et pour cause, Larbi Belkheir en personne a chargé Smain Lamari quelques mois après le meurtre du président de parler à Si.Merbah pour le
convaincre de rester loin de la politique, en échange d'un poste à l'étranger à sa convenance. Une retraite convenable comme dit Smain en essayant de convaincre son ancien maître. Il devient très amer après la liquidation des éléments qu'il a personnellement recommandé au président Boudiaf afin de l'aider dans sa campagne de purification du champ politique. Il est aussi très touché lorsque l'avocat (A. Habib, un militant du MAJD) qu'il a lui-même chargé de défendre les dix-huit sous-officiers mis en examens dans le meurtre de Boudiaf par le juge Abdel Malek Sayeh, est tabassé et menacé de mort s'il ne se retire pas de l'affaire.
Le conflit entre Kasdi Merbah et Larbi Belkhier est de longue date. Lorsque ce dernier était directeur de l'école nationale d'ingénieurs et techniciens d'Algérie (ENITA), il est signalé à la centrale (la DCSM) pour malversation par le chef du bureau de sécurité de l'école. Belkheir avait fait plusieurs prélèvements importants sur le budget de l'école pour construire des villas grand luxe dans la région de Ain-Taya. Une équipe d'officiers des services des finances dépêchée par Merbah a facilement établi les faits et prouvé le crime. Son dossier est ensuite transféré à la justice militaire avec la mention personnelle de Kasdi Merbah : A radier des effectifs de l'ANP. C'est encore l'unité entre anciens compagnons de l'armée française qui a sauvé Larbi Belkheir. Chadli a donné l'ordre d'arrêter la procédure et l'a nommé à la présidence. Dépassé par les événements du 05 octobre 88, Chadli se retrouve dans l'embarras et ne sait comment s'en sortir. Connaissant la réputation d'intégrité dont jouissait Kasdi Merbah parmi la population algérienne, Larbi Belkheir réussit à convaincre
Chadli de nommer Merbah à la tête du gouvernement pour la circonstance, le 05 novembre 88, l'urgence étant de calmer la population. L'animosité entre Larbi Belkheir et Kasdi Merbah atteint son paroxysme pendant l'été 1989 et leur divergence arrive au point de non-retour. Merbah veut s'attaquer aux « rats du Système » (sa façon à lui d'appeler les voleurs) pour assainir l'économie nationale et Belkheir est l'un des principaux visés. Les altercations entre eux sont devenues chose courante et il arrive même à Belkheir de refuser à Merbah une entrevue avec Chadli pour régler les affaires de l'Etat. Merbah ne se laisse pas faire et rappelle à l'ordre Belkheir qui est allé bien des fois se plaindre à la femme du président Chadli. Le chef du cabinet du président joue sur toutes les cordes et n'hésite pas à utiliser « Halima Bendjedid » si besoin est pour l'aider à convaincre Chadli ; en échange Belkheir est au petits soins. A la fin du mois d'août 1989, Belkheir décide d'en finir avec le chef du gouvernement et c'est Halima Bendjedid qui l'aide à le faire en mettant en garde Chadli contre les « agissements prétentieux » de Merbah. Belkhier fait de même à la présidence, rapports des services de sécurité à l'appui. Les dits documents soulignent même les acclamations des supporters dans les stades « Merbah président ». Accompagné de Mohamed Mediene, Belkheir se rend le 09 septembre 1989 au soir à la résidence présidentiel de Chadli Bendjedid à Zéralda pour l'informer de l'imminence d'un coup d'Etat préparé par Kasdi Merbah, aidé par certains généraux de l'armée. Affolé comme à son habitude dans les moments difficiles, Chadli donne les pleins pouvoirs à Larbi Belkheir pour parer à cette menace. Le soir même et sans perdre de temps, l'armée est mise en alerte « une » et Hamrouche est informé par Belkheir qui le remercie pour son «dévouement». Le 10 septembre 1989, Kasdi Merbah est empêché de rentrer dans son bureau au siège du gouvernement. Très contrarié,
il se rend à la présidence pour discuter de l'illégalité du geste de Chadli qui refuse de le recevoir. Et c'est Belkheir qui l'invite à faire valoir ses droits à la retraite avec un grand sourire au visage. C'est le président Mohamed Boudiaf qui met encore une fois, le destin des deux hommes sur le même chemin. Larbi Belkheir, ministre de l'intérieur nomme le général Hassan Beldjalti alias Abderezak au poste de responsable des affaires de sécurité à la présidence ; celui-ci l'informe des contacts entre Boudiaf et Merbah. Cette relation est très surveillée jusqu'à l'élimination de Boudiaf. Belkheir ne veut plus entendre parler de Merbah contre lequel il est très en colère depuis qu'il a en mains le rapport de trois cents pages traitant de la corruption qu'il a lui-même récupéré dans le bureau du Président Boudiaf le jour de son assassinat. Dans ce rapport, une bonne partie est réservée à la mafia "politico-financiére" et ses ramifications internationales : à sa tête, un homme: Larbi Belkheir. A la fin de l'année 1992 les événements prennent une telle tournure, que tous les observateurs de la scène algérienne, voient les prémices d'une tragédie aux conséquences dramatiques. Quelques instants plus tard, Kasdi reçoit l'émissaire du maquis après les formalités de sécurité d'usage. Ce dernier l'informe des raisons de sa visite, mais Kasdi Merbah, en homme méfiant par nature, demande à son interlocuteur de lui arranger une rencontre avec les responsables du parti. Sans plus tarder, Kasdi Merbah appelle, le lendemain, le secrétariat du ministre de la défense pour demander un rendez-vous avec Khaled Nezar. Ce dernier ne porte pas l'ancien patron des services dans son cour et pour cause, l'ex-directeur de la SM devenu secrétaire général du MDN à l'époque de Chadli, l'avait proposé à la retraite anticipée avec d'autres officiers. Khaled Nezar est très rancunier et pour marquer son autorité, il fixe un rendez-vous à sa convenance sans prendre en considération le caractère urgent formulé par Merbah. Il va sans dire que Khaled Nezar fait part de cette demande à Larbi Belkheir
et à Toufik. *La levée de l'Etat d'urgence. Khaled Nezar plus que surpris, perplexe même, n'arrive pas à comprendre comment est ce que Kasdi Merbah a eu cette audace: Venir lui parler dans son bureau de la manière avec laquelle il doit diriger les affaires du pays. Khaled Nezar est visiblement retourné par cette entrevue et tout en restant à la limite de la courtoisie, il ne veut pas s'engager mais il promet d'étudier la question avec l'ensemble de l'Etat-major. En accompagnant Kasdi Merbah à la porte de sortie du bureau, il lui recommande vivement de garder secret ses contacts avec la partie adverse. Khaled Nezar appelle, de suite, Larbi Belkheir pour lui faire part des contacts de Merbah avec la direction clandestine du FIS. Avec une voix grave, Larbi Belkheir lui demande de trouver une solution et vite. Pour Larbi Belkheir le commandement n'a pas droit à l'erreur en ces moments critiques. Dès le lendemain, le 3 janvier 1993 un conclave réunit les généraux Mohamed Mediene, Mohamed Touati, Mohamed Lamari, Abdelmalek Guenaizia et Smain Lamari dans une résidence d'Etat au club des pins. C'est sur un ton ironique que Nezar informe les généraux des propositions faites par Kasdi Merbah. Il ne peut s'empêcher d'insulter l'homme qui selon lui entretient des relations douteuses avec des gens hors la loi et recherchés par tous les services de sécurité. Il s'adresse au général Toufik pendant la discussion pour lui dire «il faut surveiller ce bonhomme de très près, il ne faut pas le lâcher » ! Et comme pour calmer Khaled Nezar, le général Touati prend la parole pour dire : « Négocier avec les islamistes maintenant, ne servira à rien, de toute façon, ils vont au contraire prendre cela comme une reculade et cela va les renforcer comme au mois de juin 1991. Toute pause dans notre stratégie avant la désarticulation totale de l'appareil du FIS ne peut que remettre en cause notre autorité. Pour le moment ce parti n'est pas encore assez faible pour qu'on puisse lui imposer nos conditions ». Et Touati finit par mettre l'accent sur la nécessité d'intensifier la répression pour parer à toute rébellion possible. Juste après lui, le général Toufik se lance dans une violente diatribe contre Kasdi Merbah, l'accusant même de complicité avec les islamistes ; il le soupçonne même d'être le maître d'ouvre des fuites concernant des informations classées sur les centres de torture et de détention secrets, publiées dans « Minbar Eljoumouaa », un bulletin clandestin du FIS. Pour lui Kasdi Merbah fait tout ce qui est possible pour servir sa propre ambition «le retour au pouvoir ». Toufik ne manque pas de rappeler au généraux présents que Kasdi Merbah est un danger permanent pour l'institution militaire, surtout depuis qu'il s'est mêlé des affaires de l'Etat avec le président Boudiaf. Smain Lamari saute sur l'occasion pour faire remarquer que Kasdi entretient des contacts très étroits avec des officiers supérieurs en service qu'il voit très régulièrement. Il se demande si Kasdi Merbah ne prépare pas un coup de force visant à déstabiliser le commandement de l'ANP. Et afin de souligner le caractère dangereux de l'ex-directeur de la SM, il rappelle aussi le rôle joué par Kasdi Merbah pendant son passage à la tête du gouvernement, sa contribution à l'opération main propre déclenchée par Boudiaf et ses rapports avec des personnalités civiles influentes tout en mettant l'accent sur l'importance des dossiers qu'il détient et des doubles des rapports présentés à Boudiaf. Le général Mohamed Lamari, (fonceur comme d'habitude) n'hésite nullement avant de lancer : « Pas de dialogue, ni de réconciliation, il faut aller jusqu'au bout de notre stratégie et faire le nécessaire pour empêcher Kasdi Merbah de profiter de cette occasion et de rebondir sur la scène politique ». A l'issue de cette rencontre, une décision est prise à l'unanimité. Les généraux chargent Smain Lamari de surveiller de très près tous les faits et gestes de Kasdi Merbah, identifier ses disciples au sein des rangs de l'ANP, identifier ses contacts terroristes, essayer de localiser les dirigeants du FIS et enfin trouver coûte que coûte les doubles des dossiers qu'il a illégalement fait sortir de l'archive de la SM. Quelques semaines plus tard, un Billet de Renseignement Quotidien (BRQ) émanant des services opérationnels du DRS et traitant d'une information capitale, arrive avec la mention Très Secret/ Très Urgent sur le bureau de Toufik : Très vite le général Toufik (après une brève conversation téléphonique avec Khaled Nezar) sort de son bureau pour se rendre à celui du ministre de la défense ; lorsqu'il arrive, le ministre l'attend en présence du général Mohamed Touati. Une fois le général Nezar mis au courant du contenu du BRQ par le directeur du DRS, il devient plus que furieux ; pour lui Kasdi Merbah vient de rompre le cordon qui le lie à l'institution militaire, donc au système. A partir de ce moment là, Kasdi Merbah devient l'homme à abattre. Après avoir contacté Larbi Belkheir par téléphone, la décision est prise presque instinctivement et est fortement approuvée par Mohamed Touati. Nezar spécifie clairement au directeur du DRS «Si. Toufik, faites le nécessaire ! » Il est à noter que pendant cette période, la maladie de Nezar est à un stade très avancé, ne pouvant plus assurer ses fonctions de ministre, il prépare son départ et la lutte pour sa succession a déjà commencé. Pour lui cette rencontre de hauts fonctionnaires de l'armée n'a qu'un objectif : la reprise des commandes de l'ANP par le courant Merbah. Le général Toufik ne perd pas de temps et c'est avec l'aide de Si. El hadj comme il l'appelle (Smain Lamari) qu'il s'attelle à trouver le moyen le plus rapide de « faire le nécessaire ». Toufik et Smain veulent absolument infiltrer Merbah car ils savent que les écoutes téléphoniques n'apporteront rien d'important vu que Merbah est un homme très professionnel. Ils réussissent à recruter un élément au sein même du parti. La taupe infiltrée est identifiée par le code « XZ ». Selon l'agent en question « XZ », Kasdi Merbah a discrètement confié des dossiers à un militant du MAJD ; ces dossiers n'ont rien à voir avec le courrier ordinaire du parti. Le militant doit les délivrer quelque part puisqu'il a quitté le bureau de Merbah à la hâte. Le puzzle prend forme, Boukhobza est membre du Conseil national consultatif et directeur de l'institut national des études stratégiques globales (INESG) de Kouba. Ce centre qui dépend de la présidence est chargé de faire une étude d'évaluation future de l'Algérie « la commission 2005 ». C'est le général Hassan Beldjalti alias Abderrezak en personne (l'homme d'ombre de Larbi Belkheir à la présidence à ce jour) qui essaye de dissuader le professeur Djilali Liabes de parler de ce sujet ; pour lui la situation du pays ne s'y prête pas encore. Et c'est au tour de Smain Lamari de demander au professeur Djilali Liabes de retirer le passage de la corruption pour raison d'Etat, chose qu'il refuse fortement en évoquant que l'institut dépend de la présidence de la république et non du ministère de la défense. Le professeur fait part des difficultés qu'il rencontre à son ami M'hamed Boukhobza. Djilali Liabes est professionnellement liquidé par un commando du « GIA » le 16 mars 1993. Lorsque Boukhobza apparaît sur la scène Merbah, les généraux Smain et Toufik font tout de suite le rapprochement ; pour eux le complot est évident et c'est Kasdi Merbah qui tire les ficelles. Ce qui aggrave la situation, c'est que M'hamed Boukhobza est aussi têtu que son ami Djilali Liabes, pire encore il est animé par le courage acquis par bon nombre de personnalités politiques après l'assassinat du président Boudiaf et il va loin en recommandant la constitution d'une commission nationale d'enquête afin de juger les responsables de la dette algérienne et récupérer l'argent et les biens spoliés. Il fait cependant l'erreur de déclarer que les preuves sont disponibles. Au début du mois de juin, Kasdi Merbah est convié au ministère de la défense nationale. Lors de son entretien avec Khaled Nezar, celui-ci l'informe que Liamine Zeroual va lui succéder et qu'il pourra voir avec lui le sujet des propositions du FIS, en précisant que la majorité est contre un tel projet. Kasdi Merbah répond tout de suite que le système a fait son temps et que si l'Etat-major refuse la main tendue, l'Algérie ira droit au mur. La majorité des Algériens, ne croit plus au rafistolage politique. La discussion est concise et l'atmosphère lourde. Nezar termine d'une façon très allusive, en évoquant le mécontentement de certains hommes très influents qui n'accepteront pas longtemps l'épée de Damoclès sur la tête. Le 22 juin 1993, M'hamed Boukhobza est sauvagement assassiné dans son appartement par un commando de 5 hommes. Après avoir subit un interrogatoire en bonne et due forme, associé à des tortures abominables, il est fini (terminologie opérationnelle de l'équipe 192) à l'arme blanche. Son bureau et son domicile sont passés au peigne fin ; les tueurs cherchent vraisemblablement les dossiers. Le chef du commando, Athmane Tartague ressort du domicile de la victime avec un document à la main qui confirme bien le projet de collaboration entre Kasdi Merbah et M'hamed Boukhobza sur le dossier de la corruption dans l'armée algérienne, mais pas de traces des dossiers en question et des preuves évoquées par Boukhobza. Le jour même de sa liquidation, le directeur de l'INESG doit présider dans l'après-midi la dernière réunion de la commission « Algérie 2005 » à l'issue de laquelle le rapport final doit être officiellement présenté au haut comité de l'Etat (HCE). Les assassins ont pensé que pour l'occasion, M'hamed Boukhobza aurait les documents nécessaires pour étayer le rapport. Le jour même, après le communiqué officiel des services de sécurité annonçant l'assassinat, toute la presse est unanime pour la condamnation du terrorisme islamiste. Rares sont ceux qui se posent des questions : comment se fait-il que l'INESG perd deux directeurs en l'espace de quatre mois ? Entre temps (au début du mois de juin), Kasdi échappe à un attentat, personne ne sait si les commanditaires ont voulu lui envoyer un message ou que c'est vraiment un échec de la tentative? Sur le terrain politique, Kasdi Merbah prend contact avec cheikh Bouslimani, personnalité très influente et très respectée dans la mouvance islamiste, dans la région de Médéa et avec d'autres personnalités politiques en Algérie et à l'étranger, pour essayer de tracer le chemin de la paix. Il appelle même lors d'une conférence de presse internationale le 14 juillet 1993, les militants du FIS à déposer les armes et à l'aider à trouver une solution politique à la crise.
Kasdi Merbah est convaincu que les généraux sont déterminés à aller jusqu'au bout de leur logique criminelle ; il pense pouvoir les contrer en associant le plus de monde à sa démarche. Mais le vrai projet de Kasdi Merbah est le renversement des généraux, surtout ceux issus de l'armée française, par les jeunes officiers de l'armée, lassés de l'affairisme et de la dérive criminelle. Avec le concours de quelques officiers supérieurs restés fidèles aux principes de la révolution de novembre 54, il planifie un soulèvement des unités de l'armée pour la nuit du 31 octobre au 1 novembre 1993. Le destin en a voulu autrement et le cabinet noir ordonne l'arrestation de plusieurs centaines d'officiers et de sous-officiers, la plupart d'entre eux pour des raisons non valables ou pour l'accusation fallacieuse de sympathie avec l'islamisme. Plusieurs sont sauvagement assassinés ou mis dans les prisons pour servir d'exemple au reste des troupes. Voilà comment les généraux ont essayé de dompter l'institution militaire. Kasdi Merbah se rend en Suisse le 14 août 1993, il réussit à joindre le contact habilité par la direction clandestine du FIS pour mener à bien la médiation avec les responsables de l'armée. Merbah est suivi par la police suisse. Le commandant Samir, chef du bureau des services de sécurité à l'ambassade d'Algérie ( BSS ), récupère un double des rapports identifiant les contacts de Kasdi grâce aux agents qu'il a recruté. Après avoir essayé de rencontrer des amis à Genève (comme Ait-Ahmed qu'il n'a pas réussi à joindre), Kasdi Merbah décide de rentrer à Alger le vendredi 20 août 1993 au soir. Le samedi 21 août, un commando d'une quinzaine d'hommes de l'unité 192, lourdement armés prennent position sur la route qui mène à Alger-plage, pas loin du carrefour du café Chergui, dans la localité de Boumèrdes. Une route auparavant fermée
à la circulation et le barrage quotidien de la gendarmerie levé ce jour là. Juste quelques voitures appartenant aux services, circulent entre l'école secondaire et le poste de la gendarmerie pour un semblant de trafic afin d'éviter les soupçons d'éventuels éclaireurs de la cible. L'opération se déroule très vite : deux grenades fumigènes lancées sous la voiture, neutralisent le chauffeur de Kasdi Merbah et aveuglent les autres passagers. Pris sous une pluie de balles qui arrosent les occupants du véhicule, le chauffeur et Kasdi Merbah ont à peine le temps de tirer quelques balles de leurs «357 Magnum» touchant un des éléments du commando. Mais la violence des coups reçus est si importante qu'il n'ont guère d'options. Tout est tellement bien fait, histoire de ne leur laisser aucune chance. Quelques instants plus tard, le chef du commando s'approche des victimes et tire une rafale à bout portant ; par un geste de la main, il signale la fin de l'opération et ordonne au reste du groupe de se retirer. Smain est rassuré du bon déroulement de l'opération. Une fois le commando hors de la zone, une patrouille de gendarmerie intervient pour faire le constat. Les corps de Kasdi Merbah, celui de son fils, de son frère et de son chauffeur et garde du corps gisent dans la voiture. Les armes des victimes sont récupérées par le commandant de gendarmerie. Le rapport d'enquête conclut à un attentat terroriste. Aucune autopsie ni rapport balistique ne sont menés pour étayer cette thèse. Les dépouilles mortelles reçoivent un enterrement digne auquel assistent même des éléments de l'équipe 192. Quelques jours après, un communiqué du GIA revendique l'assassinat du « taghout » Kasdi Merbah, l'officier du DRS chargé des relations avec la presse algérienne, le commandant Hadj ZoubirTahri, annonce à la presse l'identité du coupable: le fantomatique Abdelkader Hattab, le même qu'on a crédité du vrai-faux enlèvement des trois fonctionnaires du consulat français le 23 octobre de la même année, l'affaire des époux Tévenaux.
le meurtre vient d'être revendiqué d'une façon subliminale. Les criminels ont envoyé leur message aux initiés qui
tentent de rompre d'une manière radicale avec le système. Comble du destin, c'est Larbi Belkheir qui tout en veillant au grain, offre à l'Algérie son nouveau président. Tout en restant loin des regards, il apporte son aide au président Abdelaziz Bouteflika en l'assistant d'un de ses fidèles lieutenants ; le général Hassan Beldjalti alias Abderrezak. La question qui reste posée : Le président Bouteflika saura-t-il faire sans Abderrezak ?
Nul ne sait où va l'Algérie, mais une chose est certaine, tant que les occidentaux fermeront les yeux devant l'évidence de l'implication des plus hauts responsables de l'armée dans la tragédie, en sacrifiant leurs principes sur un baril de pétrole, il y aura fort à parier qu'une déflagration aux conséquences désastreuses pour la région et le bassin méditerranéen, viendra leur rappeler qu'ils ont commis l'irréparable en soutenant un synode de criminels sous prétexte qu'ils sont le dernier rempart devant la déferlante fondamentaliste. PS: Larbi Belkheir, né le 1er janvier 1938 à Frenda dans la wilaya de Tiaret est mort le 28 janvier 2010 à Alger. Smaïn lamari, né le 1er janvier 1941 à Alger est mort le 28 Aout 2007 à Alger.
*Nous aborderons ce sujet avec plus de détails dans le dossier de la lutte antiterroriste.
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